Alors qu’Emmanuel Macron a déclaré durant la Coupe du monde de football que « le sport n’est pas politique », Gianni Infantino a décidé de prendre cette déclaration au pied de la lettre, lui qui demandait avant le mondial aux équipes de « se concentrer sur le football, et pas sur les batailles politiques. » En nommant Noël Le Graët à la tête du bureau de la FIFA à Paris, le président de la plus grande instance du football mondial vient décrédibiliser le travail effectué par le ministère des Sports, faisant du scandale qu’est l’affaire Le Graët un sujet qui ne relève pas de l’autorité du gouvernement français, mais bien de celle de la FIFA.
C’est une histoire qui a débuté au mois de septembre, avec les enquêtes successives du magazine spécialisé So Foot, du journaliste indépendant Romain Molina et de la cellule investigation de Franceinfo. Depuis, les différents témoignages dénonçant le comportement du président de la FFF Noël Le Graët ainsi que la mission d’audit du ministère des Sport ont mené à la démission de ce dernier. Pourtant, Gianni Infantino, président de la FIFA, a décidé de le nommer à la tête du bureau de la FIFA à Paris, une nomination qui s’apparente à une promotion et interroge à la fois sur l’utilité du travail effectué par la ministre Amélie Oudéa-Castéra jusqu’ici, mais aussi sur le rôle que l’instance du football mondial peut jouer dans ce genre d’affaire.

Un rebond rapide et étrange
À peine avait-il démissionné que Noël Le Graët avait déjà retrouvé un poste au sein du monde du football. Le mardi 28 février, le Comex (Comité exécutif) de la FFF se réunit pour tabler sur la situation autour de M. Le Graët, mais celui-ci décide de leur faciliter la tâche en démissionnant de la présidence de la Fédération. Une fois la réunion terminée, Eric Borghini, membre du Comex, est le premier à s’exprimer sur le sujet au Parisien, dans un entretien marqué par plusieurs déclarations qui interrogent. Accusé de harcèlement moral et sexuel, l’ancien président de la FFF serait parti sous une « standing ovation ». Au sujet de la nomination de Noël Le Graët à la tête du bureau de la FIFA à Paris malgré son âge avancé (81 ans), M. Borghini a répondu : « 81 ans à la FIFA, c’est presque la puberté, vous savez. »
À son nouveau poste au bureau de la FIFA, Noël Le Graët sera en charge du développement du football, dans une structure qui doit servir à la FIFA « de base d’opérations pour l’ensemble de ses activités de développement du football ». C’est en quelque sorte une délocalisation de la gouvernance du football international, qui doit permettre de renforcer les relations entre la FIFA et la France, et les pays francophones. Mais la décision de nommer M. Le Graët fait grincer des dents, notamment celles de Jean-Michel Larqué, qui a déclaré mercredi 1er mars sur RMC : « Il va prendre le bureau de la FIFA, qui lutte contre l’homophobie et le racisme alors que lui a déclaré qu’il n’y avait ni homophobie, ni racisme dans le football. On se fout de la gueule de qui ? C’est une honte. »

Sur le plateau de BFM Business en septembre 2020, il avait en effet affirmé : » Le phénomène raciste dans le sport, et dans le football en particulier, n’existe pas ou peu « , après que Neymar ait dénoncé des insultes racistes à son encontre proférées par l’ancien joueur de l’OM, Alvaro Gonzalez. L’année d’avant, dans un entretien accordé à Ouest-France, il avait affirmé que les insultes racistes et homophobes dans un stade, « ce n’est pas la même chose », avant d’ajouter quelques jours plus tard sur le plateau de France Info : « Considérer que le football est homophobe, c’est un peu fort de café, je ne l’accepte pas. » Au vu des missions qui seront les siennes, la nomination de Noël Le Graët à ce niveau interroge sur les raisons de cette promotion. La faible représentativité des footballeurs homosexuels dans le monde professionnel, l’importante campagne de sensibilisation du monde du foot suite au mouvement Black Lives Matter sont autant d’éléments qui montrent que ces phénomènes de discrimination que l’ex-président de la FFF juge, si ce n’est inexistants, infimes sont bien réels et doivent être réglés.
La question de l’ingérence
Mais alors, pourquoi donc Gianni Infatino a-t-il nommé Noël Le Graët à ce poste ? La question mérite d’être posée, tant la FIFA a suivi de près ce dossier et semble désapprouver l’initiative du ministère des Sports. Alors que l’audit pointe du doigt une omerta généralisée au sein de la Fédération, une ambiance toxique de travail, des problèmes d’alcool et autres, la FFF nie ces accusations dans un communiqué. De plus, il n’y a pas vraiment eu d’indignation sur le comportement de NLG. Jean-Michel Aulas, président de l’OL et membre du Comex a par exemple déclaré : » La FIFA décentralise des compétences depuis un moment donc c’est une bonne chose pour Paris car cela veut dire qu’il y aura un bureau très important à Paris, tourné vers l’avenir. Si cela fait du bien indirectement à Noël dans un moment difficile… C’est plutôt une bonne chose.«
La nomination de Noël Le Graët à ce poste n’a rien du hasard. Il est très proche de Gianni Infantino, président de la FFF, qu’il soutient depuis l’élection de celui-ci. Il a notamment soutenu le projet de Coupe du monde tous les deux ans du dirigeant suisse tout comme lors de son élection en 2016, et devrait réitérer ce soutien en 2023, année d’élection de la présidence de l’instance, à laquelle Infantino est le seul candidat. La proximité entre les deux hommes pose souci sur ce dossier, puisqu’Infantino est venu s’immiscer dans ce dossier par le biais de ce courrier adressé à l’Etat français : « Les associations membres de la Fifa, y incluse la FFF, ont notamment pour obligation de diriger leurs affaires en toute indépendance et veiller à ce qu’aucun tiers ne s’y immisce de façon indue. »

En d’autres termes, Infantino a mis en garde la France sur tout soupçon d’ingérence, ce genre de problème devant être géré, selon lui, en interne. Sur le principe, la FFF est affiliée à la FIFA, l’Etat se contente de fournir les orientations de la politique sportive nationale aux acteurs des structures fédératives. Cependant, au sein du ministère, « l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) exerce des missions d’inspection, de contrôle, d’audit ». Le gouvernement est donc dans son droit lorsqu’il mène cet audit interne, il n’a en revanche pas de pouvoir de décision, c’est le Comex qui doit s’en charger. C’est un bras de fer qui se joue aux différents étages du pouvoir, et cela se voit. Le courrier d’Infantino n’a pas été signé par l’instance du football européen, l’UEFA, dont le président Aleksander Ceferin voit d’un bon œil un changement de dirigeant au sein de la FFF.
Le jour même où l’audit de la FFF a été remis par les trois inspecteurs de l’IGÉSR, Gianni Infantino se trouvait à Paris pour rencontrer Emmanuel Macron. Les deux hommes ont évoqué plusieurs sujets, notamment le cas de Noël Le Graët, que le président de la FIFA a défendu, mettant au passage le président français en garde contre toute ingérence, une fois de plus donc. Si des sanctions contre la FFF ont peu de chance d’être prises, il faudra surveiller la nomination du prochain président, qui pourrait au mieux maintenir les bonnes relations entre l’institution française et la FIFA, et au pire créer de nouvelles tensions. Le feuilleton autour de la plus grande instance du football en France semble loin d’être fini malgré que le principal responsable en soit désormais éloigné.