Alors que le XV de France féminin a entamé son tournoi des 6 Nations par une éclatante victoire contre le Pays de Galles (53-0). Jessy Trémoulière, arrière du XV de France, meilleure joueuse du monde en 2018, et élue meilleure joueuse de la décennie il y a quelques mois, se confie sur son quotidien et ses objectifs à venir.
Bonjour Jessy, vous avez entamé de la plus belle des manières votre tournoi des 6 nations 2021 (ndlr: dont le format a été modifié en raison du Covid-19). Quels sont vos objectifs pour ce tournoi?
À titre individuel, c’est tout d’abord pouvoir retrouver ma place de titulaire. Car je ne l’ai plus depuis quelques matchs maintenant. Et après c’est surtout prendre du plaisir sur le terrain. C’est par là que passeront les résultats. Et collectivement c’est déjà de prendre les matchs un par un, d’être capable de les gagner; pour pouvoir aller jouer une finale et pourquoi pas remporter ce tournoi des 6 nations.
Vous avez été élue meilleure joueuse du monde en 2018, et meilleure joueuse de la décennie il y a quelques mois. Quelles ont été vos réactions après avoir remporté de telles récompenses?
C’est avant tout deux surprises. Pouvoir gagner ce genre de titres, je pense que c’est gratifiant pour tout le monde. Ça l’est surtout pour le rugby féminin français, qui n’avait jamais remporté ce type de récompense jusqu’alors. C’est le travail de toute une équipe et de toute une fédération. On voit que la pratique du rugby féminin progresse beaucoup ces dernières années. Notamment grâce au travail de la fédération qui met beaucoup de choses en place pour le développer. Donc on peut voir que tous ces efforts payent leurs fruits quand on a la chance de pouvoir gagner ces récompenses. Même si elles sont individuelles. J’espère que ça va inciter de nombreuses petites filles de se mettre au sport et au rugby.

On peut voir que le XV de France féminin connait une popularité grandissante. Comment analysez-vous cela?
Oui c’est vrai que depuis cette Coupe du monde en France en 2014, on a vraiment connu une exposition plus importante. Maintenant tous nos matchs sont retransmis à la télévision par exemple. C’est vraiment un pas très important pour notre sport. Personnellement quand j’ai commencé le rugby, je ne savais pas du tout qu’il y avait une équipe de France féminine, alors que j’avais 16ans. Donc c’est vraiment super que les petites filles peuvent aujourd’hui s’identifier à une équipe référence et faire le pas en s’inscrivant dans un club. Mais maintenant que nous sommes médiatisés, c’est à nous de faire le travail, d’avoir de bonnes performances, et de faire de beaux matchs. C’est important pour que les gens prennent du plaisir à nous regarder. Et j’espère que ça va encore plus prendre de l’ampleur dans les prochaines années.
De ce fait, on peut voir une réelle augmentation des licenciées féminines dans les clubs français. Comment expliquez-vous ce gain de popularité du rugby auprès des jeunes filles?
Je pense que tout d’abord que c’est grâce à la médiatisation. Beaucoup de personnes suivent et aiment notre rugby. C’est un rugby qui plait car il est vraiment basé sur l’évitement et la vitesse. Il est beaucoup moins basé sur l’affrontement. Et les familles ont besoin d’être rassurées, car on a un peu l’étiquette d’un sport violent et dangereux. Maintenant, c’est à nous de montrer que ce n’est pas le cas. Que tout le monde peut jouer au rugby, même les jeunes filles. Qu’il n’y a pas vraiment de violence. Certes il y a des blessures mais pas autant qu’on ne le pense au final. Il faut montrer lors de nos matchs que les filles peuvent jouer au rugby, qu’on ne se fait pas mal et que l’on peut jouer notre sport avec de l’évitement, tout en courant et en s’amusant.
Cependant, quel impact ont pu avoir les déclaration d’Assa Koïta, qui avait dénoncée avoir été écartée du XV de France car elle portait le voile?
Je connaissais bien la personne et je savais qu’il y avait déjà eu quelques soucis avec l’encadrement. Après au sein du XV de France, il n’y a pas réellement eu d’impact car ce sont des affaires qui nous concernent pas. Ça été réglé entre la fédération, l’encadrement du XV de France et Assa. Personnellement, je n’ai pas forcément envie de me prononcer sur cette affaire car je ne la connais pas bien tout simplement et que ce n’est pas mon rôle de m’exprimer sur ce sujet. Maintenant, les personnes en causes se sont expliquées, c’est allé dans le bon sens. Et j’espère que ça permettre qu’il n’y ait plus ce genre de problème à l’avenir. Peut importe ou que ce soit. Ça va surement permettre de changer les mentalités sur le sujet.
Vous évoquiez précédemment vous être mise au rugby sur tard. Pourquoi avoir choisi ce sport?
C’est par opportunité. On faisait du rugby au lycée lorsque j’avais 16ans, et on m’a proposé de venir essayer au club du coin. J’étais pas forcément convaincue car je faisais du foot et je m’y plaisais. Mais on m’a dit que c’était que le mercredi donc que je pouvais continuer à jouer au foot en semaine et le week-end. C’est comme ça que j’ai commencé à jouer au rugby en parallèle du foot. De fil en aiguille je me suis de plus en plus retrouvée dans ce sport. Où on pouvait jouer à la fois au pied et à la main. Je me suis également faite de nombreuses copines avec qui j’appréciais passer de bons moments. Et à 18ans j’ai décidé de me consacrer qu’au rugby, où je commençais déjà à jouer dans des sélections régionales, pour ne plus jamais arrêter.

En parallèle de votre métier de rugbywoman, vous êtes agricultrice dans la ferme familiale. Est-ce que c’est ce qui vous permet d’avoir un équilibre entre sport de haut niveau et vie familiale?
C’est deux choses aussi importantes l’une que l’autre pour moi. C’est très important de savoir quel équilibre avoir dans sa vie. Ça permet d’être bien mentalement. Et on sait que le mental c’est une composante très importante dans le sport de haut niveau. Et j’ai bien vu l’importance de cela quand j’étais rugbywoman à plein temps lorsque je suis partie de Romagnat (ndlr: elle a joué au Stade Rennais Rugby de 2017 à 2019 avant de revenir dans son club d’origine l’ASM Romagnat). J’avais un manque qui ne me permettait pas d’être totalement épanouie.
D’un point de vue professionnel, vous bénéficiez d’un contrat fédéral à mi-temps. Vous n’êtes encore que peu de joueuses à bénéficier de ce type de contrat. Comment expliquez vous que le sport féminin souffre toujours d’une certaine précarité?
Oui c’est vrai que nous sommes qu’une trentaine à bénéficier de ce type de contrat. Mais on a énormément progressé ces dernières années sur ce point grâce à la fédération. C’est vraiment un plus car ça nous permet d’être plus organisées et surtout de bénéficier de structures de haut niveau. Dans le championnat français, beaucoup ont un contrat semi-professionnel. Mais il commence a être beaucoup plus organisé et structuré. Les clubs sont toujours présents pour soutenir les filles, que ce soit dans le sportif mais également dans le privé. Pour chercher un appartement, ou gérer des soucis administratifs par exemple. Cela va s’améliorer encore plus dans les prochaines années, notamment avec l’aide de la fédération. Personnellement, je suis déjà très satisfaite de bénéficier de ce contrat fédéral. C’est extraordinaire de vivre de sa passion. On peut constater une belle évolution ces dernières années.
« Nous pouvons être championnes du monde! »
Vous deviez disputer cette année une Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, qui a malheureusement été décalée à cause de la Covid-19. Qu’est-ce que cela change dans votre préparation?
On a tout d’abord été surpris qu’elle soit annulée. Car elle se jouait sur une île où la Covid-19 est nettement moins présente qu’en Europe par exemple. Et qu’il n’y aurait pas eu de mouvements internationaux. Maintenant, on doit passer à autre chose et continuer de se préparer pour ce tournoi. Il va falloir réussir à se relever. Car ce n’est pas une fatalité, il y a des choses plus importantes que cela. On a un an de plus pour préparer cette coupe du monde, il faut en profiter. Cela va nous permettre de régler les dernières choses qui ne vont pas. Afin d’être prête un maximum pour faire une belle compétition.
Et justement, quels vont être vos objectifs pour cette coupe du monde?
Simplement de jouer le mieux possible tout d’abord. Après, évidemment on a des objectifs assez élevés. Nous voulons aller le plus loin possible, gagner un maximum de matchs, en espérant pouvoir accéder à la finale. Ensuite, sur un match, nous sommes totalement capables de battre les meilleures équipes au monde, nous pouvons être championne du monde. Et ça serait une belle chose pour le rugby féminin français, une certaine consécration. Cela pourrait permettre pourquoi pas de donner le chemin à suivre pour le XV de France masculin (ndlr: qui jouera sa coupe du monde en France un an plus tard en 2023).
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Enzo Etton