Depuis 2014, Damien Inocencio, l’ex-entraîneur de Renaud Lavillenie, sillonne les sautoirs du monde entier avec la sélection chinoise de saut à la perche. Propulsé entraîneur national de la perche chinoise, le Français a pour objectif de développer cette discipline dans l’Empire du Milieu.
Londres. 10 août 2012. Ce soir d’été, le sport français connait sûrement l’un des plus grands moments de son histoire. Renaud Lavillenie, du haut de son mètre 75, fait chavirer le cœur de tous les amoureux du sport. Dos au mur après les sauts des deux Allemands (Björn Otto et Raphael Holzdeppe), ce dernier bondit à 5,97 mètres et remporte la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Londres. Nouveau record olympique et premier titre aux Jeux en athlétisme pour la France depuis 1996. Indescriptible.

Mais derrière cet exploit se cache un homme. Damien Inocencio. Entraîneur de Renaud Lavillenie jusqu’à son titre olympique en 2012, ce Clermontois d’origine a sans aucun doute fait pousser cette graine de champion chez le sauteur français. Aujourd’hui, ce dernier vogue entre l’Europe et l’Asie à la tête de la délégation chinoise de saut à la perche. L’objectif : développer ce sport encore méconnu en Chine.
Un savoir-faire made in France
Une chose est sûre, le défi est de taille pour l’entraîneur français. Car loin du tennis de table ou encore du badminton, qui sont les sports phares en Chine, le saut à la perche est très peu développé dans le pays. Alors pourquoi un tel choix ? « Les Chinois m’avaient déjà contacté en 2011 car ils ne comprenaient pas comment des athlètes chinois qui mesuraient 1m90, qui étaient super forts physiquement, n’étaient pas capables de sauter plus de 5,60 mètres. Quand nous, on est capable de prendre un petit français d’1m75 et de l’amener à 6 mètres. Ils voulaient apprendre mes méthodes, les méthodes françaises ». Pourtant, Damien Inocencio avait refusé une première fois cette proposition avant de signer pour cette aventure en 2014. « Pour être honnête, l’aspect financier est entré en compte dans ma décision. En France, l’athlétisme ne paye pas ses entraîneurs alors qu’en Chine ils vous sortent un salaire ».
L’objectif qui lui est lancé : développer ce sport et faire sortir de terre un champion. Si aujourd’hui, les choses commencent à se développer dans le bon sens, le Clermontois s’est heurté au début à de nombreux obstacles. « J’espérais plus de développement de la part de la Fédération Chinoise. Par exemple, j’aimerais pouvoir former un peu plus les entraîneurs mais c’est très compliqué car on est face à un problème culturel. J’arrive comme l’étranger qui doit donner des leçons et les Chinois ont du mal avec ça », avoue-t-il.

Pour l’aider dans cette tâche difficile, Damien Inocencio a fait appel à un autre Français, Yann Remondin, préparateur physique. À eux deux, ils jonglent entre la Chine et la France pour préparer au mieux les athlètes et les amener au sommet. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le travail commence à payer. Le Chinois Xue Changrui a notamment fini quatrième aux mondiaux de Londres en 2017 avec une barre à 5,82 mètres. Et Huang Bokai, 24 ans, se présente comme le futur espoir de cette sélection chinoise avec un record à 5,75 mètres.
« Pour moi, il y a très peu de chances de médailles pour les Jeux de Tokyo. Le niveau est encore trop bas. »
Néanmoins, l’ancien entraîner de Lavillenie reste réaliste. « Pour moi, il y a très peu de chances de médailles pour les Jeux de Tokyo. Le niveau est encore trop bas. Les garçons stagnent à 5 mètres 70 donc s’ils passent le stade des qualifications ça sera déjà très bien. Chez les filles, il y a deux athlètes à 10 cm de 4,80 mètres. Pour une médaille. c’est envisageable mais ça sera très difficile ».
La mentalité des athlètes chinois
Depuis son arrivée dans l’Empire du Milieu, Damien Inocencio s’est confronté à une toute autre culture. Une culture à laquelle il ne s’attendait pas. Car oui, même si les perchistes chinois possèdent deux bras et deux jambes comme tout le monde, ils ne voient pas le sport de la même façon que les Occidentaux. « En Chine, l’athlète ne réfléchit pas, il est là pour obéir. Quand l’entraîneur lui dit de faire ça, il le fait, il ne cherche pas à comprendre pourquoi. En France on explique le pourquoi du comment. On considère le sport plus comme une passion que comme un métier ».
La passion. Voilà le maître mot de la méthode Inocencio. Pousser l’athlète à créer son propre style et à prendre plaisir sur le sautoir. Une méthode néanmoins difficile à mettre en place dans un pays où la culture sportive est peu présente. « Les gens sont plus occupés à gagner de l’argent qu’à faire du loisir sportif. Pour eux, le loisir c’est aller faire du shopping », explique l’entraîneur français. Un manque de passion qui se ressent également sur les compétitions d’athlétisme où les stades sonnent généralement vides sur les compétitions nationales. « Il n’y a aucune affiche qui pousse les gens à venir voir des compétitions d’athlétisme ».

Pour ouvrir l’esprit de ces athlètes, Damien Inocencio programme ainsi plusieurs stages d’entraînements et compétitions en Europe. Son objectif, leur faire découvrir ce qu’il appelle « le sport passion ». « Quand ils viennent en France, ils rencontrent une autre culture, une autre façon de vivre. Et ils comprennent que les athlètes français ont une autre vie à côté du sport comme un travail, des études. Ils voient vraiment ce qu’est le sport passion ».
Désormais, l’entraîneur français se tourne vers les prochains jeux de Tokyo en 2021. Une préparation olympique tronquée pour les perchistes chinois avec la crise sanitaire actuelle. Sans aucune compétition internationale, les espoirs de médaille paraissent désormais très minces pour les protégés de Damien Inocencio.