Football

Nos très chers stades

« Le stade, je veux le vendre car il me coûte trop d’argent, c’est une gabegie financière ». Ce constat sans appel est celui de Benoît Payan, maire de Marseille, lorsqu’on lui demande ce qu’il souhaite faire de l’Orange Vélodrome. Le cas marseillais est loin d’être isolé en France et la volonté affichée publiquement par le maire socialiste au début du mois ouvre un débat sur la gestion des stades de foot français.

La folie des grandeurs

Bordeaux, Lille, Nice, Lyon, Marseille, Toulouse et Saint-Étienne ont tous un point commun. Leur stade a été rénové voire construit dans l’optique d’accueillir l’Euro 2016. Ces travaux ont eu un coût non négligeable. Sur le papier, c’est 1,64 milliard qui a été dépensé, mais en réalité cette somme est bien plus conséquente car elle ne prend pas en compte de nombreux surcoûts. Exemple à Marseille : « La mauvaise négociation financière avec Arema [entreprise chargée de l’exploitation du stade] nous a coûté 93 millions d’euros supplémentaires » explique le maire phocéen. La rénovation de 13 grands stades français entre 2008 et 2016 a coûté 2,6 milliards d’€.

Parmi ces 13 stades, on notera la présence de la MMArena (104 millions d’€), un stade de 25 000 places pour un club aujourd’hui en National et dont le taux de remplissage n’a jamais excédé les 30 %. Le club manceau a même dû délaisser son enceinte après sa liquidation judiciaire. Une démesure parmi tant d’autres en France…

Car Saint-Étienne (taux de remplissage de 65 % en 2018/2019 alors que la moyenne nationale est de 74%), Lille (69%), Bordeaux  et Toulouse ( respectivement 51 % et 49 % de remplissage sur la même période) ne sont pas des exemples non plus. Ces quatre clubs occupent pourtant des écrins neufs ou rénovés pour près d’un milliard d’€. Ces taux de remplissage peu glorieux résultent d’une démesure dans la construction des stades. En effet, la plupart des stades français sont bien plus grands qu’il ne faudrait. Certes, le foot français attire de plus en plus de spectateurs mais cette croissance est insignifiante par rapport à la hausse de la capacité d’accueil de ces dernières années.

Depuis 10 ans, MMA paye un million d’€/an pour le naming du stade à son gestionnaire. Malgré cela, le gestionnaire a présenté un déficit cumulé de 6 millions d’€. Et l’arrêt du naming en juin prochain ne va pas arranger les choses.
Crédit photo : Gilles Moussé

Cela est en partie la faute de la Licence Club. Il s’agit d’un système de notation, sans pareil en Europe, dont le but est de déterminer la part des droits TV dont chaque club bénéficie. Dans le barème, on trouve notamment la capacité d’accueil du stade. La dépendance aux droits TV (plus de 50% des revenus pour 17 des 20 clubs de L1) force ainsi à construire des stades toujours plus grands.

Le stade des Alpes, loué par le GF 38, n’a été rempli qu’à 27 % de sa capacité lors de la saison 2018/2019. Inauguré en 2008, il a pourtant coûté près de 90 millions d’€.

Investir massivement dans des infrastructures neuves n’est pas le problème. Encore faut il investir correctement. L’Allemagne l’a fait en 2006 pour accueillir le Mondial. Entre 2000 et 2005, ce sont 12 stades qui sortent de terre outre-Rhin. Ces stades neufs ont permis une hausse de 32 % de l’affluence en 6 ans. C’est le point de départ des 164 pages du rapport Besson de 2008 sur la compétitivité des clubs français. Alors secrétaire d’État chargé de l’évaluation des politiques publiques, Éric Besson tire la sonnette d’alarme.

Le football français doit changer son train de vie s’il ne veut pas voir s’accroître définitivement l’écart sportif et financier avec ses voisins européens. Pour y remédier, l’ex-député prend souvent exemple sur le modèle allemand. La coupe du Monde 2006 a permis au football outre-Rhin de prendre le virage de la modernité et de diversifier ses revenus. Bonne nouvelle, en 2010, 2 ans après la publication de ce rapport, l’organisation de l’Euro 2016 est attribuée à la France, l’occasion rêvée de faire la même chose dans l’Hexagone. Mais dans les faits, le fameux modèle allemand n’a pas été suivi.

La location, un mauvais bail

Car si les Allemands ont construit de nombreux stades, la plupart des clubs en ont profité pour devenir propriétaire* de ces infrastructures. Huit clubs de Bundesliga possèdent actuellement leur stade contre un seul en France, l’Olympique Lyonnais. Les stades sortis de terre en France sont le fruit de PPP (Partenariat Public-Privé). En d’autres termes, l’autorité publique fait appel à une entreprise privée pour construire gérer le stade mais il est toujours sous propriété publique. C’est le fruit d’une tradition française depuis 1945. Selon le Recensement des Equipements Sportifs de 2011, 86 % des équipements sportifs de l’Hexagone appartiennent au public.

*Dans une optique de vulgarisation, nous ne détaillerons pas ici les différents accords pouvant exister. En réalité, chaque club a un contrat de gestion différent. Certains clubs sont déclarés propriétaires de leur stade alors qu’il s’agit d’une société tiers plus ou moins proche du club qui possède l’écrin.
L’Allianz Arena, construit pour le Mondial 2006, est la propriété du Bayern Munich. Le club allemand a même remboursé le prêt pour l’achat de son stade avec 16 ans d’avance.
Crédit photo : Isaac Mok

Et ces PPP coûtent très chers aux clubs qui doivent payer un loyer avec des charges fixes importantes. À Marseille, l’OM verse 5,5 millions d’€ chaque saison à Arema pour jouer une vingtaine de matchs au Vélodrome. Dans le Nord, le stade Pierre-Mauroy, aussi beau soit-il, ne satisfait aucun acteur. Le LOSC n’a cessé de se plaindre d’un loyer excessif. Il serait d’environ 4,2M/an selon Michel Seydoux. En réalité, il s’élève à au moins 5,1M d’€/an selon un rapport d’observations commandé par la chambre régionale des comptes. De plus, l’exploitation du stade par la société Elisa a été déficitaire chaque saison depuis 2012, obligeant la MEL (Métropole Européenne de Lille) à combler ce déficit. À Nice, le déficit d’exploitation du nouveau stade s’élève à 4,5 millions d’€/an depuis 2014.

À l’inverse, l’Olympique Lyonnais, propriétaire du Groupama Stadium, a présenté un bénéfice de 15,6 million d’€ sur les activités liées à l’exploitation du stade en 2017/2018.

Bilan annuel d’Elisa, gestionnaire du stade Pierre-Mauroy, auprès de la chambre régionale des comptes

De plus, le fait de ne pas être propriétaire empêche les clubs français d’optimiser la gestion de leur outil de travail. Le modèle en la matière se trouve en Italie. La Juve a multiplié par 5 ses revenus matchday en changeant de stade en 2011/2012. Avec ses 41 000 places, le Juventus Stadium peut ressembler à un garage de Clio pour une Lamborghini. Mais il n’en est rien. Le club italien a développé une multitude de services les soirs de matchs, notamment dans les loges VIP, en collaborant régulièrement avec des chefs étoilés. En possédant son stade, le club transalpin a su adapter sa logistique et ses services aux besoins de ses consommateurs.

Le Juventus Stadium a été inauguré au début de la saison 2010/2011

En fait, l’idée du rapport Besson de s’inspirer du modèle allemand part d’une bonne idée. Problème, l’Allemagne n’est pas la France, d’autant plus en matière de ballon rond. Dans une de ses études, Jean-Michel Gayant, professeur d’économie à l’Université du Mans énumère ce qui a empêché le foot français de connaître le même succès que le foot allemand après le Mondial 2006. Et outre la Licence Club et les locations déficitaires, l’économiste met en avant des différences culturelles notables.

Il se base notamment sur l’effet « lune de miel » théorisé par Jeremy Moulard. Il s’agit du nombre de saisons consécutives durant lesquelles le taux de remplissage est supérieur au niveau de référence, c’est à dire la dernière saison entière dans l’ancien stade. Cet effet « lune de miel » s’élève en moyenne à 6,6 saisons en Allemagne alors qu’il ne dure que 1,2 saison en France. Enfin, le format allemand (championnat à 18, moins de matchs en semaine, pas de Coupe de la Ligue) est plus attirant. Quand un club français peut jouer jusqu’à 49 matchs nationaux par saison, un club allemand ne dépassera pas les 41 rencontres, créant ainsi un effet de rareté attirant un public plus nombreux.

Lors de l’exercice 2018/2019, le taux de remplissage des stades de la Bundesliga s’est élevé à près de 90 % soit 15 % de plus qu’en Ligue 1.
Crédit photo : Martin Meissner/AFP

Mais alors comment devenir propriétaire de son stade ?

Le constat est implacable. Ne pas être propriétaire de son stade est un problème financier pour les clubs français. Se pose donc la question de l’acquisition. Cela peut paraître logique, mais pour acheter un bien il faut qu’il soit à vendre. Le PSG a essayé en 2015 d’engager des négociations avec la ville de Paris pour l’acquisition et la rénovation du Parc des Princes. Mais la municipalité a refusé toute négociation, n’étant pas vendeuse**. Car il n’est pas facile pour une collectivité publique de vendre un bien.

En effet, les stades sont des biens d’utilité publique donc inaliénables. Il faut donc changer son statut en bien privé, par un vote du conseil municipal. Ensuite, lorsqu’un acteur public vend un bien, la Direction Immobilière de l’État doit estimer son prix. Une fois le prix estimé, les négociations avec le club peuvent débuter. Mais que se passe-t-il si un 3ème acteur décide d’entrer dans la partie ? Pour éviter ces situations, il est possible d’avoir une exclusivité de négociation Club-Mairie. Cette exclusivité oblige cependant à revoir tous les contrats de location signés jusqu’alors, notamment avec le gestionnaire.

De plus, pour devenir propriétaire de leur stade, les clubs doivent avoir des fonds ou être capable de contracter un prêt. Mais après la crise sanitaire et le fiasco Mediapro, aucun club professionnel n’est aujourd’hui capable d’acheter son stade. Même avant la tempête des droits TV, quasiment l’ensemble des clubs français souffrent d’un déficit structurel, poussant ainsi à la réflexion sur un nouveau train de vie pour nos chers clubs.

** A l’instar du RC Lens et du Havre, le PSG a conclu un accord d’exclusivité avec leur collectivité publique respective, leur permettant d’être les seuls clubs avec l’OL de pouvoir dégager des revenus en dehors des jours de matchs.
Crédit photo : Getty Images
Matthieu Heyman

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