Les relations sprinters – poissons-pilotes sont moins visibles à l’antenne que les duos leaders – lieutenants, en montagne, car tout va à 100 à l’heure dans les sprints. Pourtant, poissons-pilotes et sprinteurs sont plus que des coéquipiers. Ils ne font qu’un et seul le sprinter récolte (ou pas) les lauriers. Analyse de ces duos explosifs au sens propre comme au figuré.
Les sprinters sont des bêtes de course, des bolides sur deux roues. Mais pour gagner, aussi forts soient-ils, il leur faut désormais une équipe à leur service. Si les premiers vrais spécialistes du sprint comme Freddy Maertens et Sean Kelly se débrouillaient encore seuls dans les années 1970 et 1980, la donne a fortement changé depuis. Un homme en particulier a révolutionné la discipline dans les années 1990 et 2000 : Mario Cipollini.
Le « Roi Lion », aux 42 victoires d’étapes sur le Giro (record absolu) et 12 bouquets sur le Tour de France, est le premier sprinter moderne. Il a disposé du premier train de sprint, le « treno rosso » de la Saeco. Surtout, plus qu’un train, toute une équipe de huit coureurs était à son service pour le placer sur orbite même s’il ne finissait pas la plupart des Grands Tours auxquels il prenait part, ne supportant pas la montagne. Le train de « Cipo » est sans doute encore aujourd’hui le meilleur de l’histoire. En tout cas, avec son lanceur Gian Matteo Fagnini, il prenait souvent l’avantage sur les trains d’Erik Zabel, Robbie McEwen et Oscar Freire, ses rivaux générationnels.

On parle bien d’un train comme dans le domaine ferroviaire, en l’occurrence d’un train composé de plusieurs wagons qui s’écartent jusqu’à la ligne d’arrivée. L’avant dernier wagon est le poisson-pilote tandis que le dernier est le sprinter. Dans l’idéal, le poisson-pilote doit placer son sprinter dans la « boule », à l’abri du vent, après la flamme rouge. Puis, il doit le dégager de là pour lui permettre de sprinter. Pour cela, il faut être rugueux et souvent jouer des épaules, parfois même des coudes et du casque.
Le poisson-pilote doit lancer son sprinter à 250 mètres de l’arrivée. Cette distance est variable. Elle est raccourcie en cas de forts vent de face et de sprints montants et allongée en cas de vent de dos et de sprints en faux plat descendants. Les Olympistes vous propose une analyse des six grands duos sprinters – poissons-pilotes des années 2010, inspirés du train de Cipollini. Du duo Cavendish-Renshaw à la combinaison Démare-Guarnieri, ils ont tous leur spécificité.
Cavendish – Renshaw : le plus prolifique
59 victoires pour Mark Cavendish lorsque Mark Renshaw était engagé sur la même course, à son service. La paire australo-britannique a tout écrasé sur son passage durant ses neuf années de collaboration que ce soit chez HTC Columbia, Quick Step ou Dimension Data. Cavendish, né en 1985 et Renshaw, né en 1982 viennent du même monde. Ils ont connu la gloire sur la piste avant de réussir sur route. L’Australien a remporté plusieurs titres de Champion du monde en juniors. Chez les Élites, il a remporté la Coupe du Monde 2001 du kilomètre. Cavendish, lui, a été trois fois Champion du monde de l’américaine (deux avec Wiggins) et médaillé d’argent à l’omnium des Jeux Olympiques de Pékin.
Mark Renshaw, trois ans plus vieux, a d’abord fait ses gammes en tant que sprinter de la FDJ sur des manches de Coupe de France avant de découvrir le rôle de poisson-pilote. Il a fait ses premiers pas comme lanceur au coté du « Viking » Thor Hushovd. En brillant au service du Norvégien, il a gagné l’opportunité d’être le poisson pilote du « Cav », dés 2008. C’était alors un Mark Cavendish, âgé de 23 ans et tout juste vainqueur de ses premiers succès sur le Tour de France. L’arrivée de Mark Renshaw chez HTC Columbia va marquer le début de l’ère Mark Cavendish. Leur saison la plus impressionnante est la première : 2009. Cette année là, le Britannique remporte 23 victoires (son record) dont 14 avec l’Australien comme lanceur. S’ils s’imposent trois fois sur le Giro, c’est sur le Tour de France qu’ils marquent les esprits. La paire remporte six victoires. Renshaw a placé sur orbite le « Cav » cinq fois sur six.

La plus marquante est bien sûr la victoire sur les Champs Élysées. Les deux hommes signent un retentissant doublé. Sous la flamme rouge, Georges Hincapie remonte les deux Mark. Ils dépassent le train de la Garmin (Julian Dean et Tyler Farrar). À 500 mètres de l’arrivée, Renshaw prend le dernier virage à droite avec une trajectoire très intérieure, les adversaires Farrar, Hushovd et Ciolek, sont enfermés. Mark Cavendish signe la victoire la plus facile de sa carrière, l’Australien ne se relève pas. Il prend la deuxième place et s’invite sur la photo en levant les bras comme son sprinter. Le « Manx missile » et son poisson pilote sont sur le toit du monde.
En 2010, peut-être trop en confiance, Mark Renshaw est disqualifié à la mi-tour pour avoir asséné des coups de casque à Julian Dean. Cela n’empêchera pas le « Cav » de remporter cinq nouveaux bouquets. En 2011, il n’y a pas d’accroc, les deux hommes finissent le Tour avec encore cinq victoires et en prime le seul et unique maillot vert du « Manx Express ». Après deux années de séparation, quand Mark Renshaw est parti joue sa carte chez Rabobank, le « Cav » retrouve son lanceur chez Quick Step puis chez Dimension Data. Dans l’équipe sud-africaine, ils retrouvent le temps d’une saison leur gloire passée. En 2016, Cavendish remporte ses quatre dernières victoires sur le Tour de France. Mark Renshaw, prend sa retraite en 2019, ne pouvant plus faire gagner son sprinter.
Kittel – Degenkolb : le plus homogène
Marcel Kittel et John Degenkolb étaient tous les deux des sprinters de classe mondiale. Le premier était le meilleur sprinter du monde en 2013, 2014 et 2017. Le second était au moins parmi les dix meilleurs mondiaux. Pourtant, cela ne l’a pas empêché de se mettre intégralement au service de Kittel. Les deux Allemands n’ont jamais eu de problèmes de cohabitation. Né à un an d’intervalle, à Armstadt et Gera, dans le Land de Thuringe, ils se sont connus très jeunes. Ils ont d’abord été coureur de l’équipe continentale allemande Thuringer Energie Team entre 2007 et 2010.
C’est durant leur quatre années communes chez Argos Shimano puis Giant Alpecin qu’ils ont connu leurs meilleures années. Si Arnaud Démare et Nacer Bouhanni ne parvenaient pas à s’entendre chez FDJ, le « Kaiser »et John Degenkolb étaient sur la même longueur d’onde. Ils avaient une vision très collective du cyclisme. Marcel Kittel, étant un pur sprinter, Degenkolb se mettait à son service sur les sprints plats.

« Dege » était avec Tom Veelers, le poisson pilote attitré de Kittel sur les Tour de France 2013 et 2014, conclus à quatre succès chacun dans la musette du natif d’Armstadt. En revanche, sur les sprints en faux plat montant ou les sprints à plat positionnés après des bosses, les rôles permutaient. John Degenkolb pouvait disposer du train Argos Shimano et même parfois être lancé par Kittel. Si John Degenkolb ne compte qu’un succès sur le Tour de France (contre quatorze pour Kittel), il s’est imposé à dix reprises sur la Vuelta et compte de nombreuses classiques à son palmarès (Milan San Remo, Tour des Flandres, Gand Wevelgem etc.). C’est pourquoi, il a un palmarès au moins aussi riche que celui de son acolyte, retraité depuis 2019. Jamais une paire sprinter – poisson-pilote n’a été aussi homogène avec un lanceur aussi performant que le finisseur. L’état d’esprit des deux hommes a rendu l’entente parfaite.
Gaviria – Richeze : le plus intergénérationnel
11 ans d’écart entre Fernando Gaviria, 26 ans et Maximiliano Richeze, 37 ans. C’est donc une relation mentor/élève entre l’Argentin et le Colombien. D’autant plus que Richeze est né dans une famille de cycliste. Il a très tôt aidé ses deux frères cadets Mauro Abel et Adrian pour qu’ils deviennent professionnels comme lui et c’est son frère ainé Roberto qui l’a soutenu dans ses premiers tours de roue. Les deux Sud Américains ont tout de suite accroché lors du Tour de San Juan, leur première course commune, en 2016, ou Gaviria s’était imposé devant Peter Sagan et Elia Viviani. Depuis, ils ne se sont jamais quittés. Ils ont perfectionné leur duo jusqu’à devenir la référence mondiale et surtout, ils sont très amis dans la vie. Le « Tigre » et « Maxi » ont fait le bonheur de l’équipe Quick Step.

Fernando Gaviria, étant un coureur très explosif, il lui faut être lancé le plus près possible de la ligne finale. Richeze l’a bien compris. Il a pris l’habitude de s’écarter à seulement 150-200 mètres de l’arrivée pour que le jump du Colombien fasse la différence. Sur le Giro 2017, le Colombien a décroché quatre étapes et le maillot cyclamen en étant mis sur orbite. Bis repetita lors du Tour de France 2018. L’Antioqueño a remporté deux étapes et porté le premier maillot jaune après des lancements parfaits de son poisson-pilote. Leur organisation où Gaviria doit être lancé le plus tard possible a offert de nombreux moments insolites. Souvent « Maxi » s’est retrouvé juste derrière son sprinter sur les photos finishs. Ils ont aussi signé des doublés. Parfois, le « Tigre » a même volontairement laissé un écart pour laisser gagner « Maxi » comme sur le Tour de Suisse 2016.