Football

Les Îles Féroé, l’archipel du ballon rond

Avec 80 000 moutons pour 50 000 habitants et 300 jours de pluie par an, les Îles Féroé ne sont pas réellement prédisposées à jouer au football. Pourtant, le B36 Torshavn et le KI Klasvik ont réussi l’exploit de se qualifier pour le 3ème tour de l’Europa League. Un exploit retentissant pour un pays où football et pêche sont rois.

La pêche au football

Les Îles Féroé sont un archipel de 18 îles situé au nord de la Grande-Bretagne. Ce pays de 1 300 km² a obtenu son indépendance vis-à-vis du Danemark en 1948 mais reste sous la tutelle danoise dans certains secteurs comme la défense, la justice ou les affaires étrangères. Étonnement, c’est ce dernier point qui va amener un vent de fraîcheur sur le foot féroïen. En effet, en 1973, le Danemark rejoint l’Union Européenne.

En toute logique, l’adhésion danoise aurait dû inclure les Îles Féroé. Mais, les quotas de pêche imposés par Bruxelles auraient marqué un sérieux coup de frein à l’économie de l’archipel. Ainsi, les Féroïens trouvent un accord avec le royaume danois pour rester en dehors de l’UE. Cette histoire fait resurgir un sentiment nationaliste dans la politique féroïenne.

Voilà plus d’un siècle que le football est joué aux Îles Féroé. Ici, une photo de 1909.

Avec un taux de chômage très bas et un niveau de vie élevé, l’archipel s’estime capable de prendre ses distances avec la couronne danoise. C’est cette raison qui va pousser les Îles Féroé à candidater aux épreuves de l’UEFA et de la FIFA. Il existait déjà une équipe nationale mais cette dernière ne disputait pas d’épreuves internationales. Elle était alors considérée comme une sélection régionale. Seuls quelques matchs amicaux et la Greenland Cup, épreuve dans laquelle le Groenland et l’Islande sont les adversaires les plus coriaces, animaient alors cette équipe.

Mais l’adhésion aux instances internationales du ballon rond change totalement la donne. Désormais, la sélection nationale jouera des matchs officiels face à des équipes du monde entier. Les clubs de l’archipel pourront ainsi se frotter à leurs homologues étrangers.

Les Îles Féroé sont membres de la FIFA depuis 1988. Crédit : Football Nordisk

« Certains sont éleveurs de saumons ou de moutons »

La sélection nationale n’a jamais réussi à se qualifier pour l’Euro ou la Coupe du Monde et ne peut pas participer aux JO. Une participation à un événement de cette ampleur constituerait un exploit historique pour un pays où le football n’est pas totalement professionnel : « 50 % des entraîneurs et 10 % des joueurs sont professionnels. Beaucoup travaillent la journée et s’entraînent le soir, c’est un rythme auquel on est habitués. Certains sont couvreurs, éleveurs de saumons ou de moutons, nous sommes encore en développement » a confié Jakup a Borg, entraîneur du B36 Torshavn à Football Nordisk.

Jouer au football aux Îles Féroé peut avoir certains avantages…
Crédit photo : Marc Chesneau

Le pays ne compte que 5 000 licenciés. Ce chiffre est trompeur, puisque cela signifie que 10 % de la population féroïenne joue au football, sport le plus pratiqué de l’archipel. En guise de comparaison, l’Islande, véritable révélation de l’Euro 2016, en comptait alors 23 000, soit « seulement » 5% de la population islandaise. « Le football est le sport numéro 1 ici. Les Féroïens suivent pas mal le championnat et l’équipe nationale. Le parcours du B36 Torshavn est particulièrement suivi car c’est la première équipe du pays à gagner trois matchs européens consécutifs » explique Anthony, français fan de foot expatrié aux Îles Féroé.

L’équipe nationale a tout de même réussi quelques coups marquants. Le premier a lieu lors du premier match de qualification pour l’Euro 1992. Pour leur premier match officiel, les Féroïens reçoivent l’Autriche. Du fait du manque d’infrastructures, le match a lieu en Suède. La sélection autrichienne part favorite, et a participé à 3 des 4 dernières Coupe du Monde. Mais à la surprise générale, ce sont les Féroïens qui s’imposent 1-0.

Au terme de ce match, Jens Martin Knusden se construit une réputation honorable. Grâce à ses nombreuses parades, il garde sa cage inviolée, mais c’est surtout grâce à son bonnet blanc à pompon qu’il marquera les esprits. Ce dernier est une icône du pays, du fait de sa carrière footballistique mais surtout car il est aussi gardien de l’équipe nationale de handball et champion national de gymnastique. La polyvalence à l’état pur !

On attrape le pompon et c’est reparti pour un tour !
Crédit photo : Nordisk Football

Au rayon des exploits, on trouve aussi une double victoire face à la Grèce lors des éliminatoires de l’Euro 2016. Ces deux victoires féroïennes entraîneront ainsi l’élimination prématurée des Grecs, la première défaite entraînant même le licenciement du sélectionneur Claudio Ranieri.

Le Suédois Hakan Ericson a réussi ses débuts sur le banc féroïen avec deux victoires en deux matchs.

Crédit photo : T.Wagner/Witters/Presse Sports

L’équipe nationale est actuellement 107ème au classement FIFA et est en progrès constant. Lors des éliminatoires du dernier Mondial, la Landslioio a marqué 9 points, un record dans son histoire.

10 % de la population féroïenne joue au football, faisant du ballon rond le sport le plus pratiqué de l’archipel.

La Ligue des Nations, compétition regroupant l’ensemble des sélections européennes, est une opportunité rêvée pour ce petit pays de se qualifier pour l’Euro ou la Coupe du Monde. L’épreuve organisée par l’UEFA permet aux sélections les plus modestes d’affronter d’autres sélections au niveau plus ou moins équivalent et d’obtenir un ticket pour ces deux compétitions.

Victorieux d’Andorre puis de Malte, les Îles Féroé sont en tête de leur poule de Ligue des Nations. Cela faisait 23 ans que la sélection n’avait pas gagné deux matchs de suite.

Au rendez-vous de l’Europa League

Le championnat féroïen compte 10 clubs et a officiellement vu le jour en 1942. Parmi les têtes de proue de la Betri Deildin, on retrouve les deux clubs de la capitale, le HB Torshavn et le B36 Torshavn ainsi que le KI Klasvik. Réputées très physiques et disputés, les rencontres tournent à 3 buts par match en moyenne, soit plus que la Premier League, la Serie A ou la Liga par exemple : « Les entraînements, c’est beaucoup de courses. L’aspect physique est dans leur mentalité » explique Adama Gueye, joueur sénégalais jouant aux Îles Féroé.

Le championnat est différent de ses homologues européens car il n’a pas lieu à la même période :  « le championnat a lieu de mars à octobre, c’est la période où la météo est la plus agréable. Les matchs peuvent être reportés quand il y a trop de vent, mais ça reste rare« .  précise Anthony.

C’est entre octobre et mars que le championnat féroïen s’interrompt du fait des conditions climatiques.

« Il nous arrive parfois de voyager pendant 3 heures en ferry pour jouer » explique Kevin Schindler, entraîneur adjoint du HB Torshavn. Et qui dit petit pays dit surtout peu de clubs : « Beaucoup de villages ont fusionné, donc il n’y a qu’une quinzaine d’équipes. Les meilleurs clubs alignent 3 ou 4 équipes sur plusieurs divisions. Par exemple, l’an dernier, aucune équipe n’est descendue en 2ème division car les promus étaient des équipes Bis de clubs de 1ère division » raconte Anthony.

Les rencontres tournent à 3 buts par match en moyenne, soit plus que la Premier League, la Serie A ou la Liga

Pour lui, facile de suivre le championnat, les billets ne coûtent que 80 Couronnes Danoises, soit 10 €. « Le niveau n’est pas extraordinaire car les meilleurs partent au Danemark. L’ambiance est assez calme. Les matchs de l’équipe nationale sont animés car un groupe de supporters les suit. Et lors de la finale de la Coupe des Îles Féroé, il y a beaucoup plus d’ambiance, avec fumigènes, drapeaux et chants. »

Le groupe de supporter des « Skansin » suit toutes les rencontres des Îles Féroé. Crédit photo : FIFA

Avec des températures peu clémentes et 300 jours de pluie par an, organiser un match peut s’apparenter à un casse-tête : et quand ce n’est pas la météo qui empêche de jouer, c’est le matériel qui peut s’y mettre. En effet, en 1944, le championnat a tout simplement été annulé du fait du manque de ballons sur l’archipel. Mais depuis, les Féroïens ont investi dans le football et aujourd’hui les stades ont fleuri au côté des prairies, permettant à la sélection et aux clubs de recevoir des matchs internationaux.

Le stade du B68 Toftir. Au bout du Monde.
Crédit photo : GETTY IMAGES/ANDREW MILLIGAN

Le championnat permet à 4 clubs de disputer l’Europa League. Le vainqueur de la Coupe et les 3ème et 2ème de la Betri Deildin disputent un tour préliminaire précédant le 1er tour. Le champion dispute le 1er tour préliminaire de la Ligue des Champions. Néanmoins, cette saison n’est pas comme les autres et le parcours du champion en titre, le KI Klaksvík, est inédit. En effet, le club féroïen devait accueillir le Slovan Bratislava mais le match n’a jamais eu lieu.  La faute ? Ni la météo ni le manque de ballons, mais le coronavirus qui a touché en nombre le club slovaque qui s’est retrouvé dans l’impossibilité de disputer le match. L’UEFA a donc accordé la qualification au 2ème tour au champion féroïen sur tapis vert.

Le championnat féroïen a été l’un des premiers championnats européens à reprendre après la crise sanitaire. Crédit photo : Getty Images

Mais la suite n’a pas souri au KI Klaksvik, éliminé par les Young Boys de Berne, champion suisse en titre. Cette élimination leur permet de rejoindre leurs compatriotes du B36 Torshavn, au 3ème tour des qualifications de l’Europa League.

Le KI Klaksvik n’a pas réussi l’exploit d’éliminer les Young Boys. Crédit photo : Anthony Anex – Keystone

Pour la première fois de l’Histoire, deux clubs féroïens seront présents à ce stade de la compétition. Et, c’est un exploit retentissant ! Auparavant, seul un club de l’archipel de l’Atlantique avait atteint ce stade, le GI Gova en 2015. De leur côté, le B36 Torshavn réalise une véritable épopée. Le tour préliminaire les a emmenés à Gibraltar affronter St Joseph’s (victoire 1-2 malgré la domination gibraltarienne).

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Ensuite, les 2ème du championnat 2019 ont reçu les Estoniens du Levadia Tallinn. Le match s’est terminé aux prolongations alors que les Estoniens menaient même 3-2 à quelques minutes du terme du match. Enfin, au 2ème tour, ce sont les valeureux Gallois des New Saints, autre petit poucet de la compétition qui se sont frottés aux Féroïens. Résultat ? Une nouvelle victoire en 120 minutes, avec une égalisation à la dernière seconde. C’est la séance de tirs aux buts qui a permis aux hommes de l’Atlantique de se qualifier pour le 3ème tour. Désormais, c’est le CSKA Sofia qui sera sur la route du B36. Les joueurs de l’archipel seront les petits poucets d’une rencontre qu’ils joueront à près de 3 000 kilomètres de chez eux.

Avec 2 clubs au 3ème tour d’Europa League, les Îles Féroé s’imposent de plus en plus comme une valeur sûre des championnats mineures européens. Le folklore est toujours présent. On pourrait parler de Klaemit Olsen, légende du football féroïen, né avec un pied gauche déformé et concierge du lycée de Runavik. On pourrait aussi parler d’Allan Simonsen, Ballon d’Or 1977, et sélectionneur de l’équipe nationale pendant 7 ans.

« Et lors de la finale de la Coupe des Îles Féroé, il y a beaucoup plus d’ambiance, avec fumigènes, drapeaux et chants. »

Les petites histoires de comptoir se comptent sur plusieurs mains. L’engouement pour ce sport force le respect. 12 % des habitants de l’archipel s’étaient déplacés en octobre dernier pour assister au choc entre le KI Klavisk et le B36 Torshavn. Rien que ça. Et quand on demande à Adama Gueye, joueur sénégalais qui joue aux Îles Féroé pourquoi ils restent dans ce championnat si modeste, sa réponse en dit long : « Parce que les gens m’aiment ici ».

Crédit photo : GETTY IMAGES/ANDREW MILLIGAN
Matthieu Heyman

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