Une semaine après Milan-San Remo et deux semaines après les Strade Bianche, le Tour de Lombardie marquait la fin de la campagne des classiques italiennes. Repositionnée au mois d’août du fait de la pandémie, la « Classique des feuilles mortes » a rarement aussi mal porté son nom. Les feuilles étaient en effet très vertes sur les 226 kilomètres entre Bergame et Côme. Sûrement aussi verte que l’équipe Trek-Segafredo qui avait la course en main et qui repart bredouille. De son côté, l’équipe Deceuninck-Quick Step était verte de peur après la terrible chute de Remco Evenpoel.
Remco K.O
En ce jour de Ferragosto, jour férié en Italie, la tradition veut que les patrons fassent des cadeaux à leurs ouvriers afin de célébrer l’Assomption de Marie. Peu importe pour Remco Evenepoel, grandissime favori malgré ses 20 ans, qui n’a pas fait de cadeaux à ses rivaux. Le Belge avait demandé à ses coéquipiers de durcir le rythme très tôt. Résultat, un écrémage important s’effectue à plus de 75 kilomètres de l’arrivée, l’échappée est très vite reprise. Un groupe d’un peu moins de 10 coureurs passe ensemble au sommet du Mur de Sormano, principale difficulté du jour.
Dans ce groupe, Astana et la Trek-Segafredo semblent avoir les cartes en main avec respectivement 2 et 3 coureurs. Vincenzo Nibali, double vainqueur de l’épreuve en 2017 et 2015, fait valoir ses qualités de descendeur. L’objectif est clair : mettre définitivement hors course certains outsiders comme Mathieu Van der Poel, Richard Carapaz, Maximilian Schachmann ou Diego Ulissi. Fin connaisseur du parcours, Nibali fait le job et pousse Remco Evenepoel à la faute. Le jeune Belge a en effet victime d’une terrible chute, l’envoyant au tapis. Remco K.O. Le pire a été imaginé pour le coureur de 20 ans mais il semblerait que le pire a été évité. Ambitieux, Remco Evenepoel espérait devenir le premier coureur à remporter le Tour de Lombardie pour sa 1ère participation depuis Damiano Cunego en 2004.
C’est un groupe de 6 coureurs qui filait donc vers la victoire. En large supériorité numérique, la Trek Segafredo nourrissait de grands espoirs. La formation italienne pouvait en effet compter dans le final sur Vincenzo Nibali, Bauke Mollema, tenant du titre, et le talentueux Giulio Ciccone, meilleur grimpeur du Giro 2019. En face, Astana ne faisait pas pâle figure avec Jakob Fuglsang et l’épatant Aleksandr Vlasov. Avec ces cinq coureurs, George Bennett semblait bien seul mais sa très belle montée du mur de Sormano montrait qu’il pouvait tirer son épingle du jeu.
L’erreur tactique de la Trek
Malgré le large avantage numérique de la formation américano-italienne, les six coureurs ont continué à très bien s’entendre dans la vallée. Mathieu Van der Poel semblait faire peur au groupe de tête. Une peur plus qu’étonnante puisque le Néerlandais ne semblait pas être une menace sérieuse. En grande difficulté dans le Mur de Sermano, le coureur de l’Alpecin-Fenix n’avait pas vraiment les jambes pour peser dans le final et le final ne lui convenait guère. « Je dois être honnête, le parcours est trop dur pour moi » avait déclaré le prodige néerlandais au départ.
La Trek-Segafredo a fait la sourde oreille et a continué à mettre ses trois coureurs au charbon, soulageant quelque peu leurs adversaires. Cette tactique semble très étrange. Parmi les trois coureurs, deux ont déjà remporté l’épreuve et ont donc cette capacité à dire s’ils sont dans le coup pour la victoire ou non. Il aurait sûrement été judicieux de faire rouler Vincenzo Nibali jusqu’au Civiglio, afin de préserver Bauke Mollema et Giulio Ciccone. Que nenni pour l’équipe italienne qui a alors, sans le savoir, tiré ses trois dernières cartouches.

Cela a bien évidemment profité aux deux coureurs d’Astana et à George Bennett. La formation kazakhe avait assuré en partie la poursuite de l’échappée matinale, signe que Jakob Fuglsang se sentait en grande forme. De leur côté, les trois coureurs de la Trek avaient déjà montré leurs limites physiques dans le mur de Sormano. Limités physiquement et pas au point tactiquement, leurs adversaires ont bien reçu leur cadeau de Ferragosto. En effet, en une accélération de Jakob Fuglsang, Nibali, Mollema et Ciccone se sont retrouvés à la peine et n’ont pas pu revenir sur le Danois, accompagné de son équipier Vlasov et de George Bennett.

À 19 kilomètres de l’arrivée, le podium se dessinait tranquillement. La montée de San Fermo della Battaglia allait en affiner les contours. En infériorité numérique, Bennett prit la judicieuse initiative d’accélérer. La révélation russe Aleksandr Vlasov ne put suivre et le duo Bennett-Fuglsang allait se jouer la victoire. Ce dernier avait reconnu avoir commis une erreur tactique sur les Strade Bianche il y a deux semaines. Le Danois semble avoir retenu la leçon. Avec un équipier quelques mètres derrière, il laissa tout le travail au coureur de la Jumbo-Visma. Le Néo-Zélandais, pourtant si costaud sur les pentes du Mur de Sormano, n’a rien pu faire au moment de l’accélération de Fuglsang. Le coureur d’Astana partait alors à la conquête de son deuxième Monument, après son succès sur Liège-Bastogne-Liège la saison dernière.
Fuglsang, le tournant olympique
En 2016, Jakob Fuglsang remporte la médaille d’argent sur le circuit olympique de Rio de Janeiro. Depuis, le coureur de 35 ans a terminé à 9 reprises dans le Top 10 d’une grande classique sur 16 participations. Parmi ces 9 Top 10, on recense deux succès sur les Monuments et une campagne des Ardennaises en 2019 exceptionnelle, durant laquelle le Danois n’a pas quitté le podium. Le coureur d’Astana a pendant longtemps cherché sa voie entre classiques et Grands Tours. Sur ces derniers, il n’a jamais su satisfaire les espoirs placés en lui, avec un seul Top 10 (7ème du Tour en 2013) et pas mal de malchances surtout. À son âge, il semble compliqué pour lui désormais de briller sur 3 semaines. Ses plus grosses performances tiennent en une semaine maximum, en témoignent ses deux succès sur le Dauphiné en 2019 et 2017.
Depuis 2016, Fuglsang a terminé à 9 reprises dans le Top 10 d’une grande classique sur 16 participations.
Avec ce succès, Fuglsang devient le 2ème coureur en activité à remporter deux Monuments à plus de 34 ans, avec Philippe Gilbert et Alejandro Valverde. Une anecdote loin d’être anodine, qui montre que le coureur d’Astana est devenu un véritable chasseur de Classiques, en abandonnant sa quête de Grand Tour. Le Danois s’est mis au vert et il ne sera pas un cadeau de Ferragosto pour ses adversaires à venir.