Le sport a toujours possédé son lot de disparités économiques, sportives, salariales. Pourtant, la justice, elle, est universelle, sans frontières. Appliquée au sport, qu’il soit l’attaquant de pointe de votre club de D3 ou le sportif le plus en vogue du moment, pas de différences de traitement, des institutions communes et des sanctions équivalentes. En constant renouveau, la justice sportive agit, conseille, défend et plaide. Donnons-lui la parole.
Souvent requalifiée en matière complexe, la justice reste un domaine présent dans tous les aspects de notre quotidien. Le sport ne fait pas exception à la règle. Appelé à la barre pour comprendre et décrypter ce phénomène, Maître Olivier Géral, avocat en droit du sport, passé par les jurys d’appel de handball et volley et ancien juriste expert dans les instances liées au dopage. Également ancien président de commission des agents sportifs de la FF Volley-ball et de Rugby à XIII, il a accepté de répondre à nos questions. La séance est ouverte.
Le système juridique français : les fédérations en première ligne
En France, le système du droit du sport, s’articule autour d’un schéma dans lequel les commissions internes aux fédérations sont saisies des différents litiges. La procédure possède de multiples recours : chaque justiciable peut décider d’interjeter appel devant un jury. Ensuite, ce sera au tour du Comité National Olympique et Sportif Français d’intervenir pour une tentative de conciliation, puis au tribunal administratif de prendre le relais en cas d’échec. Ensuite, « il peut encore rester la cour administrative d’appel ou le Conseil d’État. Dans certains cas, il y a encore la possibilité de saisir le Tribunal Arbitral du Sport. » En revanche, « une procédure en cours ne doit pas paralyser la saison sportive. »
Les avocats sont un élément indispensable aux clubs et aux sportifs dans l’appréhension de leur image, leurs problèmes sociaux ou fiscaux. Dans cette optique, l’avocat est un conseiller qui s’appuie sur « la convention collective, le Code du sport, les rôles des DNACG. Tout ça nécessite un coup d’oeil particulier. » Côté contentieux, là aussi, le sport est un domaine particulier : il y a des contentieux dits classiques type « rupture d’un contrat d’entraîneur, requalification fiscale » ou des contentieux sportifs « avec des règles, des délais, des choses très très particulières. »
Mais alors qui fait appel au droit du sport et pourquoi ? En réalité, selon M. Géral, « le sportif, à partir du moment où il génère des revenus, est une entreprise individuelle et un club, quelque soit son niveau, est une entreprise. » Clubs et sportifs font donc face à des litiges du quotidien, mais qui appliqués au sport, sont particuliers. Son cabinet, aujourd’hui orienté vers les professionnels, ne l’empêche pas de travailler avec certains clubs loin de ce professionnalisme-là. « Parce qu’il y a toujours des problèmes de structuration, des problèmes de droit social, des problèmes de fiscalité. »
« Un club, quelque soit son niveau, est une entreprise. »
Fléaux d’un jour, fléaux pour toujours ?
Le sport est passionnant, oui, mais il possède aussi sa part de fléaux, même les plus sombres. En tête de liste, le dopage. Une plaie depuis longtemps, mais qui continue de sévir et qui selon l’avocat, est en pleine mutation. « Aujourd’hui ce qui devient intéressant, c’est aussi le dopage technologique/technique. Et il y a un domaine qui est passionnant sur lequel on réfléchit, nous, à faire une offre intelligente et adaptée, ce sont les e-sports. Il y a beaucoup à faire. »
Aujourd’hui, la parole semble vouloir se libérer quant aux affaires liées aux agressions sexuelles. Le droit doit lui aussi se saisir de cet enjeu. M. Géral, lui, n’a pas encore traité ce type d’affaire, pourtant, il confie ne pas être surpris : « les prédateurs sont partout et évidemment, il n’y a pas meilleure chose pour un pédophile que de se retrouver dans un club avec des enfants. Il n’y a pas non plus meilleure chose pour une personne narcissique que d’être dans un club avec des jeunes et d’avoir une emprise. Le sport a ça. » Aujourd’hui le sport de haut niveau doit réfléchir à ce fléau.

Et le fameux sport business dans tout ça ? On se hasarde (enfin pas tant que ça) à dire que le football est en première ligne des litiges financiers. Cliché ? Oui, mais « c‘est nécessairement une réalité. À partir du moment où vous êtes dans un schéma économique, il y a nécessairement des questions économiques. Alors, on va parler plus particulièrement de football. C’est là que les choses deviennent compliquées avec plusieurs intermédiaires. » Mais c’est aussi de cet argent que le droit du sport doit se méfier. « On peut s’interroger sur quelques clubs qui ont été rachetés par des investisseurs venant d’Europe de l’Est dans un sport dont on sait très bien qu’ils ne génèrent pas de profits. »
Médiatisation, presse et diffusion
Vous les avez peut-être lus les articles des quotidiens sportifs sur l’affaire Platini, par exemple. Ces papiers sont le fruit d’une communication avec les experts de la justice. En l’occurrence, les avocats doivent maîtriser cette relation à la presse, elle est même « essentielle ». « Un dossier de litige sportif est quelque chose qui déchaîne une passion. Et qui dit déchaîner une passion dit nécessairement une communication. Qui dit communication dit que vous devez impérativement avoir en tête l’ensemble des intérêts du club. » Cela nécessite alors aussi que les clubs maîtrisent cette communication.

Sur le même aspect médiatique, le droit a la part belle dans les droits télévisuels. Partie intégrante du sport oui, mais selon Maître Géral, « nous avons de nouveaux supports de communication qui permettent de diffuser. Le Code du sport va certainement devoir s’adapter. » Peut-on alors imaginer d’autres moyens de diffusion ? L’avocat cite par exemple « des délégations vers les clubs pour que eux, aient leur propre réseau de diffusion pour vendre leurs prestations. Ça veut dire qu’il faudrait avoir la possibilité de diffuser par exemple, des matchs sur Facebook, parce que les GAFA s’intéressent de plus en plus à la diffusion du sport. »
Sous un autre point de vue, les droits TV actuels sont probablement en danger. Pourquoi ? « Parce que jamais les GAFA ne paieront pour diffuser. Le schéma économique actuel, à mon sens, ne durera pas au niveau du financement du sport. C’est une véritable bulle. D’autres commencent à s’y intéresser : Facebook, Amazon, ou autre. Le sport doit penser à ça mais il faut aussi que l’élite du professionnel lâche du leste. » Côté justice, il y aurait alors beaucoup de nouvelles choses à traiter.
« Un dossier de litige sportif est quelque chose qui déchaîne une passion. »
Entre évolution et révolution
Le droit du sport s’est construit au fil de la professionnalisation du sport et des enjeux contemporains qui l’entoure, et le Code du sport se complète « au gré des problématiques rencontrées. Il a fallu à chaque fois, adapter la problématique juridique classique à ce qu’est le sport. Tout en préservant une notion fondamentale qui est celle de l’équité sportive. » Pourtant, il semblerait que cette professionnalisation ne soit pas évidente partout. « Dans certains sports, les dirigeants ne sont pas toujours dans cette optique-là. Il y a un réel besoin de professionnalisation, de conseil, on y vient progressivement. » Certains sports devront-ils opérer une vraie révolution culturelle ?
Nous parlions des e-sports, c’est une des matières vers laquelle les clubs vont devoir évoluer. « Je ne pense pas que ça soit un domaine qui va prendre la place du sport, certainement pas. En revanche, ça doit être un appoint pour les clubs. Et comme en plus, c’est un domaine qui est un bon support de communication pour les sponsors, c’est peut-être un moyen de financement du sport à venir. » Juridiquement parlant, ce sont des questions auxquelles il faut réfléchir, pour pouvoir être prêts à réagir le moment venu.

Parallèlement, les professions du droit du sport évoluent aussi. C’est le cas de notre interlocuteur qui se lance dans une nouvelle expérience en ayant fondé une société pluri-professionnelle d’exercice (en cours d’homologation). « Nous avons créé une structure avec un important groupe d’expertise-comptable et d’autres cabinets d’avocats. C’est très intéressant cette complémentarité. On a mis au point un système de société d’image mutuelle pour tous les joueurs, qui s’adapte plus à des sports où les revenus ne sont pas nécessairement très importants. Pour autant, les joueurs ont une image à exploiter. »