Sans sport, difficile d’être journaliste sportif. Depuis plus de deux mois, le métier a effectivement pris une tournure particulière. De quoi parler quand toutes les compétitions sportives sont à l’arrêt ? Dans cette période de mobilisation exceptionnelle pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, les journalistes ont eux aussi joué un rôle primordial.
#SPORTAIDONS est un mouvement lancé par le handballeur Cyril Dumoulin. Le 26 mars dernier, le gardien de l’équipe de France décide de lancer une vente solidaire exceptionnelle. Le principe est simple. Vendre aux enchères des articles ayant appartenu à des sportifs professionnels et reverser les bénéfices aux professionnels de santé. Les ventes sont très nombreuses et le montant récolté bien au delà des attentes initiales. Au total pas moins de 350 sportifs professionnels et 180 donateurs anonymes mettront aux enchères des pièces de collection. David Phelippeau, journaliste sportif à 20 Minutes Nantes depuis 2005 et correspondant RMC dans l’ouest, est un acteur de l’ombre mais ô combien important de ce mouvement. Il répond à nos questions.
LO : Bonjour David. Comment la crise actuelle a-t-elle impacté votre métier, vous qui êtes journaliste sportif dans un journal généraliste ?
DP : Pour être honnête, je suis au chômage partiel depuis le début du confinement mi-mars. Evidemment que mon quotidien a été bouleversé, je n’ai pas écrit un papier depuis le mois de février. Dans la rédaction sportive de 20 minutes à Paris, c’est près de la moitié des salariés qui a été placée au chômage partiel. Pareil pour les journalistes sportifs locaux où le taux de chômage partiel est très important. Effectivement, le milieu du sport et donc du journalisme a été très touché par cette crise.

Crédits : 20 Minutes
LO : Qu’est ce qu’on fait alors quand on est journaliste sportif en période de confinement ? Cela vous a-t-il permit de vous consacrer à autre chose ?
DP : Je me suis principalement occupé de mes quatre filles. Mais rapidement je me suis senti « inutile », même si le mot est fort. On a besoin d’une vie sociale surtout lorsque l’on est journaliste depuis quinze ans, c’est beaucoup de contact au quotidien. J’avais déjà entendu parler de l’opération Dumoulin dans la presse depuis deux ou trois jours. Quand des gens proches de Cyril m’ont demandé de l’aide pour cette opération j’ai tout de suite demandé à certains contacts du milieu du sport si ils était d’accord pour y participer.
LO : Vous avez donc œuvré dans ce mouvement. Comment avez vous agi pour apporter votre aide ?
DP : J’ai commencé par envoyer des textos à certains joueurs du FC Nantes leur expliquant que le but était de récolter des maillots, des chaussures… Puis grâce au réseau que j’ai obtenu depuis quinze ans j’ai contacté des anciens nantais comme Nicolas Savinaud, Jordan Veretout… J’ai donc envoyé pleins de messages en expliquant le concept. Et les réponses sont arrivées très vite, souvent des réponses positives. Donc les sportifs ou ancien sportifs envoyaient une vidéo où ils annonçaient leur participation au mouvement et présentaient leur article mis en vente. Ils appelaient également au confinement pour inciter les gens à rester chez eux. Je me suis rapidement pris au jeu, j’ai peut-être contacté une cinquantaine de sportifs au total. C’était devenu « addictif » !
LO : Cela doit-être un avantage dans ce genre de situation d’être journaliste ?
DP : Oui c’est vrai. J’ai été un des premiers à me lancer et j’ai ensuite fait prendre au jeu d’autres journalistes de la région, tous avec une grande liste de contacts. Au bout de quinze jours on était très nombreux à solliciter des sportifs alors même que le mouvement s’intensifiait. On a pu ratisser très large et dans tous les sports. La majeure partie du temps les sportifs jouaient le jeu et il y a eu un vrai élan de solidarité. Ça a eu une sorte de gros effet boule de neige. C’était une vraie aubaine pour Cyril qui au départ n’avait rien demandé à personne.
LO : Le mouvement s’est ensuite propagé dans le reste de la France ? Vous avez eu des échos d’autres journalistes qui ont également apporté leur aide ?
DP : Oui bien sûr. On a réussi à motiver d’autres journalistes. J’ai eu les retours de collègues de 20 Minutes à Lille notamment dont un qui a obtenu un maillot de Florent Balmont, ou encore deux superbes maillots de Benoît Pedretti. On a aussi des journalistes qui ont eux-même donné des magnifiques pièces qui traînaient dans leurs armoires. Olivier Rouyer par exemple, actuellement consultant chez Canal, m’a envoyé une veste de l’équipe de France de foot des années 80, vraiment magnifique ! Plusieurs autres journalistes de beIN Sports ou l’Equipe sont également venus participer à ce mouvement.
LO : On a alors vu de nombreux sportifs se joindre au mouvement. Vous pensez que cet élan a été donné par Cyril Dumoulin ou alors que cela s’est fait grâce aux journalistes ?
DP : Je pense que le fait que l’opération ait été mené par un sportif, handballeur à Nantes, ça a parlé aux sportifs. Pour nous qui les contactions, dire qu’un sportif de haut niveau s’occupait de cette opération a vraiment eu beaucoup d’impact. Cela a forcément atteint un plus grand nombre de sportifs par la suite qui se retrouvaient dans son discours. Cyril est quelqu’un de très investi et il incarne parfaitement cette opération. Il a remercié vraiment tout ceux qui ont participé au mouvement.
Je pense que les journalistes sont restés dans l’ombre. C’est ce qu’on voulait. Mais on est tout de même parvenu à lui donner une certaine ampleur avant que les sportifs parfois ne le rejoignent d’eux même. Hugo Lloris par exemple nous a envoyé une paire de gants. Je pense que le fait que Cyril soit lui aussi gardien en équipe de France a joué.

Crédits : Facebook @Thibault Pinot
LO : Selon vous, les sportifs ont ils montré l’exemple durant cette crise et en participant au mouvement ?
DP : On entend souvent des critiques sur les sportifs, et notamment les footballeurs. Il y en a beaucoup qui pendant cette crise on fait des choses de leur côté sans que ce soit médiatisé, certains joueurs du FC Nantes par exemple. Il y a quand même eu un bel élan de solidarité chez les sportifs, à travers le mouvement de Cyril mais pas seulement. Ils ne savaient probablement pas comment aider dans cette crise et qu’on leur propose d’aider les soignants, ils étaient tous hyper heureux de pouvoir participer. Les anciens sportifs aussi !
LO : Avez-vous également reçu des pièces provenant de personnes anonymes ?
DP : Oui ! Certains trucs absolument incroyables. Énormément d’anonymes nous ont contacté en nous disant qu’ils aimeraient eux aussi participer à cette opération. On se rend compte que certaines personnes ont parfois des trésors à la maison. On a reçu un maillot de Henri Michel par exemple. Un autre de Seth Adonkor, le demi-frère de Marcel Desailly, qui est décédé en 1984. Quelqu’un m’a contacté sur Twitter pour me dire qu’il souhaitait donner deux maillots authentiques, un de Mario Yepes et un de Maxime Bossis qui date de la fin des années 70 d’une valeur inestimable. On ne pensait pas que certaines personnes avaient des maillots comme ceux là ! Il y a beaucoup de belles histoires qui ont circulé sur les réseaux également.

Crédits : cyrildumoulin.com
LO : Finalement quels sont les résultats de ce mouvement ?
DP : Environ 330 000 euros (plus de 333 525 euros exactement selon le site de Cyril Dumoulin, ndlr.) de promesses de dons. Cyril le disait lui même au début de l’opération, il pensait récolter deux ou trois milles euros avec des articles de son garage ! Un mois plus tard c’est un montant bien plus conséquent qui pourra être reversé au personnel hospitalier.
LO : Le mouvement va-t-il se poursuivre ?
DP : Des maillots collectors sont toujours disponibles en vente sur son site et les articles vendus aux enchères doivent maintenant être livrés. J’ai un peu moins suivi depuis le 26 avril comme cela m’a pris beaucoup de temps. Mais oui, le mouvement continue !
Effectivement, le mouvement se poursuit. Cyril Dumoulin et Sportaidons cherchent désormais à réunir 330 000 donateurs donnant chacun cinq euros, ou plus ! L’épidémie n’est pas terminée et le personnel soignant a toujours besoin de nous.