Entre les courts de tennis et les prisons du IIIème Reich, la vie de Jean Borotra paraît tout droit sortie d’une série hollywoodienne. C’est ce destin, plein de rebondissements que nous avons choisi de vous raconter. Des courts de tennis aux batailles de la Seconde Guerre Mondiale, il n’y a qu’un pas…
Jean Borotra est originaire du Pays Basque. C’est donc assez logiquement qu’il commence à pratiquer la pelote basque dès son plus jeune âge. Mais à 14 ans, il se met au tennis. Problème, la Première Guerre Mondiale éclate et le Basque est mobilisé. Il se retrouve enrôlé dans l’armée française de 1916 à 1919. Au terme du conflit, il rejoint la prestigieuse école Polytechnique, devient champion de France militaire avec cette école et obtient en parallèle une licence de droit. On comprend que le gaillard n’est pas là pour enfiler des perles… Néanmoins, il n’a pas oublié sa passion pour le tennis et n’hésite pas à sécher les cours pour s’entraîner ou participer à des compétitions sous le nom d’Ortabor (anagramme de Borotra) pour ne pas se faire griller. Malin.
Une carrière prestigieuse
Au terme de ses études, Jean Borotra se lance dans le monde des affaires. Sa profession lui permet d’énormément voyager à travers le monde et ainsi poursuivre sa carrière de tennis au haut niveau. À l’époque, les voies de communication ne sont pas encore aussi développées qu’aujourd’hui et il n’était pas facile pour un athlète européen de disputer régulièrement des compétitions aux Etats-Unis ou en Australie. Mais ses performances sont remarquables et le Basque s’impose comme l’un des meilleurs joueurs de sa génération. En remportant deux fois Wimbledon, une fois Roland-Garros (à l’époque appelé Internationaux de France) et l’Open d’Australie, le « Basque bondissant » rejoint l’équipe de France de Coupe Davis. Avec René Lacoste, Henri Cochet et Jacques Brugnon, il formera « les Quatre Mousquetaires ». Cette génération dorée du tennis français va dominer d’une main de maître le tennis mondial, en remportant 6 Coupe Davis consécutives.
« Nous avons été animés par l’esprit qui régnait dans notre pays après 14-18. Rien ne semblait impossible pour des Français »
Ces quatre joueurs vont même devenir les premiers joueurs non-anglophones à soulever le Saladier d’Argent, mettant un terme à la domination américaine. Outre leurs performances avec l’équipe nationale, les quatre Français vont s’illustrer en glanant près de 40 tournois du Grand Chelem, simple et double confondus.

Les études et le travail du Basque vont l’amener à s’investir en politique. Il rejoint la ligue antiparlementaire des Croix de Feu, une organisation politique d’extrême-droite menée par le Colonel de la Rocque. Mais cette ligue sera dissoute par le Front Populaire en 1936 et le tennisman rejoint le Parti Social Français.

Crédit photo : AFP
Le développement du sport sous Pétain
Quelques mois plus tard, la Seconde Guerre Mondiale éclate. En quelques semaines, les troupes françaises sont balayées et le 22 juin 1940, l’Armistice est signée. Le Maréchal Pétain est au pouvoir et désigne Jean Borotra commissaire général à l’Éducation et aux Sports. Malgré le côté autoritaire et totalitaire du régime, le Basque va faire beaucoup pour le développement du sport amateur en France durant son mandat.
En effet, il va interdire le professionnalisme de certains sports comme la lutte, le tennis ou le football. Il va aussi s’attaquer au rugby à XIII en saisissant les biens de la fédération. De ce fait, le rugby à XIII va connaître plus de difficultés à se développer en France que le rugby à XV. Enfin, Borotra va tripler le nombre d’heures de sport à l’école et arrive à augmenter le budget dédié à son ministère.
Pourtant en 1942, après un désaccord avec ses supérieurs, il claque la porte et démissionne. Suite à cela, il est arrêté par la Gestapo et déporté en Allemagne, au camp de Saschenhausen. Mais, le roi de Suède Gustave V, averti par René Lacoste et grand passionné de tennis, va lui porter secours. En effet, le roi suédois a déjà tapé la balle jaune avec le Français et intervient personnellement pour qu’il soit transféré au début de l’année 1943 au château d’Itter, prison réservée aux personnalités françaises.
La bataille du château d’Itter, la bataille la plus étrange de la Seconde Guerre Mondiale
Dans ce château transformée en forteresse, Borotra retrouve les anciens premiers ministres Édouard Daladier et Paul Reynaud, mais aussi le Colonel de la Rocque ou encore une résistante, Marie-Agnès Caillau, qui n’est autre que la sœur du Général De Gaulle. Leurs conditions de détention sont bien plus soutenables que dans un camp de concentration ordinaire. Mais le 1er mai 1945, au lendemain du suicide d’Adolf Hitler, et alors que les Américains approchent à grand pas, leurs geôliers disparaissent, laissant les prisonniers français livrés à eux-mêmes. Ils ne peuvent pas sortir car dehors, le chaos règne. En effet, l’armée allemande est en déroute totale et se retrouvent divisée. D’un côté, l’armée régulière essaye de résister aux Américains, de l’autre des SS encore fanatiques continuent leurs exactions, n’hésitant pas à abattre des civils.

Crédit photo : S.J. Morgan
Les prisonniers français rédigent alors une lettre de secours en anglais et charge leur cuisinier tchèque, de la transmettre aux Alliés. Mais, il va involontairement tomber sur les troupes allemandes. Ces derniers le capturent et l’emmènent à leur général, Josef Gangl. Ce dernier lit la lettre, mais ne peut intervenir. En effet, ses troupes subissent l’avancée américaine depuis de nombreux mois et ne feront pas le poids face aux SS de la région. Il décide alors d’aller voir les Américains pour leur demander de l’aide. Oui, un général allemand va demander de l’aide à l’armée américaine menée par le général John Jack Lee. Gangl arrive à la base américaine et demande à rencontrer le général américain.
« Tous les nazis n’étaient pas SS Dolorès » OSS 117
Ce dernier prend connaissance de la situation et accepte d’aller sauver Borotra et les autres Français. Avec une quarantaine d’hommes, américains et allemands, Gangl et Lee se rendent au château d’Itter. Mais quelques heures après leur arrivée, les SS prennent position et font le siège du château. Les soldats américains et allemands, ainsi que certains prisonniers français dont Borotra défendent le château. Néanmoins, les SS mettent à mal l’alliance improbable. Les occupants du château sont obligés de se réfugier dans la cave. Le général Lee rédige alors une lettre demandant un soutien aérien et cherche un volontaire pour la transmettre à ses compatriotes stationnées derrière les lignes SS. Jean Borotra se porte volontaire et arrive à traverser les lignes ennemies pour transmettre le message. Le tennisman a pris à revers les SS.
Quelques heures plus tard, un déluge de bombes s’abat sur les SS, mettant un terme à la bataille la plus étrange de la Seconde Guerre Mondiale. Josef Gangl aura été la seule victime de cette bataille. Le général allemand avait survécu à Stalingrad, la bataille de Normandie et des Ardennes, mais n’aura pas survécu à l’une des dernières batailles de la guerre, durant laquelle il s’est allié à l’ennemi. Cocasse.
Dans l’Histoire du sport français
Au terme de conflit, Jean Borotra poursuit sa carrière tennistique. Il va disputer son dernier Wimbledon en 1960 à l’âge de 62 ans ! Il continuera encore longtemps de jouer avec les trois autres mousquetaires.
« Faire partie des Mousquetaires fut l’une de mes plus grandes joies, nous étions de merveilleux camarades »
Il devient par la suite député gaulliste. Durant ce dernier mandat politique, il milite pour la création d’un système de paris sportifs. Ce système verra le jour en 1985 et continue encore aujourd’hui de fonctionner, il s’agit tout simplement du Loto ! Il prendra ensuite la tête de la Fédération Internationale de Tennis en 1960, puis travaillera pour l’UNESCO afin de démocratiser la pratique du sport chez les jeunes.
Son engagement pour le Maréchal Pétain lui aura valu de nombreuses réprimandes après la guerre, notamment de la part des organisateurs de Wimbledon. Les Anglais ont refusé pendant longtemps d’inviter le double vainqueur du tournoi. Peu importe, le « Basque Bondissant » aura marqué le sport français de la première moitié du XXème siècle. Membre de la légendaire équipe des « Quatre Mousquetaires », promoteur du sport amateur pendant la Guerre, héros de la bataille d’Itter et enfin créateur du Loto, Jean Borotra n’aura pas marqué seulement l’histoire de son sport, mais de tout le sport français grâce à son engagement politique.
Crédit photo : Getty Images
Matthieu Heyman