Après Benoît Peschier (champion olympique de kayak en 2004), Alain Bernard (double champion olympique de natation), c’est Jérémie Azou, champion olympique d’aviron en 2016 avec Pierre Houin, qui nous fait le plaisir de partager ses souvenirs olympiques aux Olympistes. Aujourd’hui, masseur-kinésithérapeute et ostéopathe, Jéremie Azou, surnommé le « surdoué », revient le temps d’une interview sur ses performances aux Jeux de Londres et Rio.
En 2012, vous participez pour la première fois aux Jeux Olympiques, dans la catégorie deux de couple, avec votre partenaire Stany Delayre. Avec lui, vous finissez 4ème de la course, est-ce que cela a été difficile pour vous de finir au pied du podium ?
En arrivant sur la compétition nous faisions partie des prétendants pour la médaille (et éventuellement pour le titre). Lors de la finale nous réalisons un excellent départ. L’effet de surprise était total chez nos adversaires. Chaque fois que nous avions démarré une course dans cette configuration par le passé nous avions été médaillés. J’aime donc à croire que nous aurions glané une médaille si la course n’avait pas été arrêté quelques centaines de mètre plus loin par les arbitres. En effet, le règlement de l’époque permettait de stopper et redonner le départ en cas de casse matériel dans les 100 premiers mètres. L’embarcation britannique a profité de cette règle pour faire recourir la finale. Sans effet de surprise possible et avec des réserves énergétiques diminuées, il nous fut impossible de réaliser l’exploit la seconde fois.
Au-delà de l’énorme déception de finir au pied du podium, c’est un sentiment de colère et d’injustice qui domina après la finale. Car il s’est avéré plus tard qu’aucune casse mécanique n’avait réellement touché le bateau anglo-saxon. La vidéo de la finale est disponible sur Youtube et tous les experts pourront valider mes dires.

Est-ce que cette quatrième place aux Jeux de 2012 a été déterminante dans la préparation de Rio en 2016 ?
Malgré l’amertume de cet épisode, il fut le ciment de l’après. À daté de ce jour, nous avons optimisé tous les paramètres de notre préparation et n’avons été battu qu’une fois sur toute l’olympiade. Il s’agit donc d’un vrai tournant dans l’histoire de notre embarcation.
Pour les JO de Rio vous êtes associé avec le tout jeune Pierre Houin. Après une victoire à Lucerne, l’encadrement français a privilégié Pierre Houin au profit de Stany Delayre. Est-ce que ce changement de duo en pleine année olympique vous a perturbé ?
Nous avons plus de 150 jours de stage avec l’équipe de France chaque saison. Ces regroupements sont l’occasion de convoquer les rameurs susceptibles d’être titularisés en fin d’année. Lors de ces rassemblements nous ramons plusieurs fois avec nos différents coéquipiers. Cela n’a donc pas été un problème de s’accorder techniquement avec Pierre puisque nous avions déjà ramé de nombreux kilomètres ensemble.
Lors de ces JO 2016, votre duo arrive avec l’étiquette de favori, est-ce que cela a été difficile à gérer ?
Pas nécessairement. Nous étions quasiment invaincus sur l’olympiade avec Stany Delayre (nous n’avions essuyé qu’une seule défaite sur toute l’olympiade). Ce n’était donc pas quelque chose de nouveau. Nous avions vécu cette situation de nombreuses fois. J’avais presque « l’habitude » de gérer ce statut et ce genre de pression. Le coéquipier était différent, mais l’état d’esprit est resté le même.

En demi-finale des Jeux de Rio, vous arrivez premier en dominant assez facilement la course, est-ce que cette course vous a donné de la confiance pour la finale ?
Contrairement à ce que le spectateur ait pu ressentir derrière son écran, il n’y a pas eu de course facile sur cette compétition. De la Série jusqu’à la finale je n’ai jamais eu l’impression que nous dominions comme nous l’avions fait sur le reste de la saison internationale. Cela n’a pas entaché ma confiance pour aborder la dernière course mais je n’ai pas le souvenir d’une demi-finale « facile ».
Le jour de la finale, quelles sont vos sensations sur la ligne de départ ? Et, quelle est votre stratégie de course ?
Cela ne fait que quatre ans que c’est arrivé mais tout ça commence à être loin comme souvenir. Je ne crois pas avoir eu des sensations particulières. Je me rappelle avoir été concentré sur ma course, sur les consignes de l’entraîneur et sur la gestion de mon stress.
La stratégie était simple, faire notre course et imposer notre rythme aux adversaires. Nous connaissions nos qualités sur le départ. L’objectif était de s’installer en tête dès les premiers coups de pelles et de lancer une grosse accélération à la mi-course pour augmenter notre avance et finir en beauté.
Aux 1000 mètres, vous êtes talonné par les Norvégiens et les Américains, à ce moment-là à quoi vous pensez ?
J’ai eu de l’inquiétude à ce moment-là de la course car je voyais bien que nous étions très fortement accrochés par le reste de la flotte (à l’exception des Polonais qui étaient légèrement en retrait). Il était prévu que Pierre m’informe verbalement des « dangers » si la configuration de la course venait à changer. Il n’a pas dit un mot, cela aurait pu me stresser davantage mais ça eu l’effet inverse. Je me suis inconsciemment dit que tout devait aller si le petit jeune ne voyait rien d’inquiétant.
Lors du dernier 500 mètres, les Irlandais reviennent sur vous, est-ce que à cet instant vous avez peur que le titre olympique vous échappe ?
J’ai en effet eu peur car j’étais à bout de souffle. Chaque coup donné était un calvaire et je n’avais plus le contrôle sur la situation. Heureusement pour nous, la ligne d’arrivée n’était pas loin…
Finalement, vous franchissez la ligne d’arrivée en premier et vous êtes sacré champion olympique. Une fois la ligne franchie, quelle est votre première réaction ?
Contrairement à ce que l’on peut croire, la première chose que j’ai ressenti c’est une intense douleur due à l’effort. Vous avez juste l’impression de mourir sur place. Je n’ai pas eu la force de lever les bras, je me suis allongé dans le bateau et j’ai cherché mon souffle…. Donc pour répondre à la question : la première réaction fut « j’ai mal ! ».
À chaud, après la course, est-ce difficile de prendre conscience d’être champion olympique ?
Tout va trop vite le jour de la finale pour en prendre vraiment conscience. J’ai l’impression que c’est plutôt quelque chose qui s’est dessiné avec le temps.
Lors de la remise des médailles, quelles ont été vos émotions ? Est-ce que partagez ce podium à deux rend les émotions encore plus fortes ?
La Marseillaise est encore plus forte en émotions que la remise de médaille. Et la victoire est encore plus belle quand elle peut être partagée.
Mais mes émotions étaient pourtant mélangées. Il y avait la joie de la réussite mais aussi une forme de tristesse concernant mon ancien coéquipier Stany qui n’avait pas pu partager tout ça.
Si vous deviez retenir une seule chose de cette fabuleuse journée du 12 août 2016, vous choisiriez quoi ?
We did it ! (et aussi : c’est la fin du régime !)

Avez-vous participez à la cérémonie d’ouverture et de clôture des JO ?
Je n’ai jamais fait la cérémonie d’ouverture et de clôture. Il parait que c’est super. Personnellement je n’ai jamais été attiré par les bains de foule. L’objectif numéro 1 des JO c’était de performer. Je ne regrette donc absolument pas d’avoir fait l’impasse sur ces soirées pour me concentrer à 100% sur ma performance. J’aurais culpabilisé toute ma vie si nous avions manqué nos objectifs sportifs parce que nous avions participé à l’une d’elle.
Aujourd’hui, vous résidez à Vancouver, est-ce que la médaille d’or est toujours avec vous au Canada ?
Je ne suis pas très matérialiste par nature. Et je n’ai pas non plus besoin de me mettre la médaille autour du coup tous les matins pour passer une bonne journée. L’objet est donc resté dans son écrin en France. J’ai un projet pour elle à mon retour en métropole, mais je ne peux pas en dévoiler plus pour l’instant…
