12 Juillet 1998, une date qui restera à jamais gravée dans la mémoire des Français. La France vient de gagner pour la première fois de son histoire la Coupe du Monde face au grand Brésil de Ronaldo (victoire 3-0). Le lendemain, l’Équipe publie en une « Pour l’Éternité » et vend ainsi le plus grand nombre d’exemplaires de son histoire (1 642 501 exemplaires vendus). Pourtant, la relation du quotidien sportif avec l’équipe de France et notamment son entraîneur Aimé Jacquet est loin d’être un conte de fée.
Malgré la ferveur qui habite les joueurs et le staff français après le coup de sifflet final, Philippe Houy, à l’époque intervieweur de TF1, parvient in extremis à se frayer un chemin et interroge le sélectionneur Aimé Jacquet : « Aimé, pardonnez-vous à l’Équipe ? ». La réponse fuse, cinglante comme une tête de Zidane au premier poteau : « Je ne pardonnerai pas, je ne pardonnerai jamais. Je n’ai qu’un mépris pour ces gens-là, ce sont des voyous ! ».
Les propos de « Mémé » ce soir-là disent tout du mal profond avec la rédaction de l’Équipe. Une haine mutuelle qui conduira à ce que l’on appellera plus tard « l’affaire Jacquet ». Une affaire qui bouleversera à jamais le paysage de la presse sportive en France. Retour sur cette affaire aux moult péripéties.
Aux origines du conflit
Tout commence un soir du 17 Novembre 1993 au Parc des Princes contre la Bulgarie. Un match qui résonne, aujourd’hui encore, comme un crève-cœur pour le peuple français. Mais, avec le recul, Aimé Jacquet peut dire merci à ce « criminel » bulgare du nom d’Emil Kostadinov. Pour rappel, à quelques secondes de la fin du match comptant pour les éliminatoires de la Coupe du Monde 1994, le Bulgare Kostadinov assène une frappe sèche qui vient se loger dans la lucarne de Bernard Lama. Victoire de la Bulgarie 2-1 qui empêche les Bleus de s’envoler pour le Mondial 1994. Un incroyable gâchis.

Crédit Photo : Sport 24 – Le Figaro
Un mois plus tard, le 17 décembre 1993, Aimé Jacquet succède à Gérard Houiller (sélectionneur le soir de la défaite bulgare) pour un intérim de deux matchs. Un intérim qui va finalement durer près de cinq ans. Dès ses débuts, l’ancien entraîneur des Girondins de Bordeaux est critiqué. Jugé ringard ou même « has been », le sélectionneur s’attire déjà les foudres de la presse mais aussi des « anciens » comme Juste Fontaine qui le qualifiera de trouillard.
Il faut dire que les premiers matchs de notre Aimé national sont médiocres. Le jeu prôné par Jacquet est, en effet, peu offensif et les matchs se finissent la plupart du temps sur un score vierge. Par sa philosophie de jeu, nombreux lui ont collé cette étiquette d’homme du passé. Voilà pourquoi l’Équipe considérait qu’il fallait allumer Mémé. Un ringard qui ne connaissait rien au foot selon eux.
Les matchs se suivent et les critiques continuent
Malgré une première victoire face à la Squadra azzura (notamment vice-championne du monde en 1994), les Bleus d’Aimé Jacquet vont enchaîner quatre matchs nuls en l’espace de cinq matchs. Des nuls à répétition qui vont en agacer plus d’un et notamment l’Équipe. En effet, le lendemain, le journal ne se fait pas prier et fait savoir sa colère en titrant en une un « Zéro ! » vengeur. Une phrase loin d’être anodine puisqu’elle marque le début de la séparation entre le quotidien sportif et le sélectionneur national.
Pour en rajouter une couche, le quotidien signe en une le surlendemain du match « Alerte rouge pour les Bleus ». C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La guerre est déclarée ! Mais, les rédacteurs de l’Équipe ne s’arrêtent pas à cette une et demandent, dans l’édition du 31 Mars 1995, à Jacquet de démissionner après le match contre la Slovaquie si par malheur ce jour-là, le zéro pointe de nouveau le bout de son nez. Pour eux, il n’y a aucun doute, Aimé Jacquet n’est pas l’homme de la situation, il doit partir.

Manque de bol pour la rédaction de l’Équipe, la France inflige une nette victoire 4-0 aux Slovaques. Une victoire qui permet non seulement aux Bleus de faire un pas important vers l’Euro 1996 mais qui offre aussi à Jacquet un petit moment de répit. Il reste à la tête des Bleus. Ce n’est pas aujourd’hui que Mémé partira, au grand dam du journal.
Juin 1996, Aimé doit répondre aux critiques lors de cet Euro en Angleterre. Une compétition que les hommes de Jacquet se doivent de réussir s’ils veulent garder leur sélectionneur. Pourtant, tout commence mal avec les choix de Mémé à l’entame de la compétition qui ont provoqué quelques grincements de dents. Cantona, le capitaine des Bleus et Ginola ne sont pas retenus pour disputer l’Euro.
Mais le bilan correct de l’Équipe de France en Angleterre (élimination aux tirs au but en demi-finale face aux Tchèques) permet à Jacquet de conserver un certain soutien médiatique et populaire. Effet collatéral de la prestation honorable des Bleus, Aimé J. est reconduit jusqu’à la Coupe du Monde en 1998. L’Équipe et Mémé vont devoir se supporter pendant encore deux ans. La guerre se poursuit.

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Gérard Ejnès et Jérôme Bureau, les bourreaux de Jacquet
S’il y a bien deux hommes à l’origine de cette « affaire Jacquet », ce sont sans aucun doute Gérard Ejnès et Jérôme Bureau. La campagne « anti-Jacquet » du quotidien l’Équipe aurait-elle existée sans eux ? Probablement non. En effet, le premier directeur adjoint de la rédaction du quotidien, et le second directeur des rédactions du groupe bénéficiaient d’une certaine notoriété pour mener à bien leur croisade contre Jacquet. De 1993 jusqu’à la victoire en 98, les deux hommes ont sans cesse attaqué le successeur de G. Houllier, toujours sous le feu des critiques.
Et pour cause, Gerard Ejnès n’aura pas eu la patience d’attendre le coup d’envoi du premier match d’Aimé Jacquet en tant que sélectionneur pour le discréditer. Il écrira dans les lignes de l’Équipe : « Par correction, j’avouerai que je suis de ceux qui doutent de votre réussite en raison d’une certaine idée de votre fragilité. Entraîner vous savez, mais entraînant ? ». La messe est dite, Ejnès veut la démission de Jacquet, qui voit en ce dernier un Houllier bis.

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C’est au fond assez simple, avec les matchs nuls à répétition de la France, cette équipe « emmerdait » le public et Jacquet n’était pas assez charismatique. Et ce sentiment a été traduit de manière exacerbée par Ejnès avec Jérôme Bureau. En effet, nos deux bourreaux reprochent à Mémé, non seulement d’être allergique au beau jeu, mais surtout d’être incapable de bâtir une équipe offensive en vue de la prochaine Coupe du Monde en France.
Pourtant, « le beau jeu » que prônent Ejnès et Bureau n’est qu’une excuse bidon pour couper la tête de Jacquet. En outre, le journal L’Équipe a toujours privilégié le résultat. Le « beau jeu » c’est très bien, à condition de gagner à la fin. C’est en cela que nos deux compères se sont trompés. Car même si la France de Jacquet n’était pas le Brésil de Pelé, cette équipe ne perdait pas. Beau jeu ou pas c’est la victoire qui compte, pas vrai ?!

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Juin 1997. L’Équipe de France vient de terminer avant-dernier du Tournoi de France amical, un tournoi servant de préparation. Avec deux matchs nuls et une défaite, le bilan tricolore est mitigé. C’est donc une occasion en or pour Ejnès et Bureau de porter une attaque mortelle à Jacquet. Les deux journalistes commandent alors un sondage d’opinion pour savoir si oui ou non, Aimé est l’homme de la situation pour la Coupe du monde 98.
Persuadés que les supporters interrogés accableraient Jacquet, Ejnès et Bureau tombent des nues en apprenant les résultats du sondage. 72 % des personnes interrogées font confiance à Aimé Jacquet pour diriger la France en vue de la Coupe du Monde. Les deux journalistes de l’Équipe doivent s’y faire, ce sera avec Mémé pour le Mondial.
Coupe du Monde 1998 : Victoire Jacquet, Défaite L’Équipe
A l’orée du Mondial 1998, deux éventualités s’offrent à l‘Équipe. Soit les tricolores gagnent le mondial et le quotidien sportif bat ses records de diffusion. Soit les Bleus foirent leur mondial, ce qui permettrait ainsi à L’Équipe de montrer sa compétence supérieure sur l’air de « on vous l’avait bien dit ». La deuxième éventualité est davantage privilégiée par la rédaction. Une victoire finale de la bande à Jacquet et l’Équipe deviendrait des bons à rien aux yeux du public. Inimaginable pour le journal.
Pariant sur une défaite des Bleus, le quotidien sportif poursuit sa croisade contre Aimé Jacquet à la veille du Mondial. Un mois avant le début de la compétition, Aimé Jacquet annonce le 5 mai sa liste pour le tournoi. Mais surprise, cette liste comporte 28 joueurs (au lieu de 22) ! Ce terrible non-choix du sélectionneur français attire les foudres de Jérôme Bureau. Le lendemain, l’Équipe publie en une « Et on joue à 13 ? ». Un titre provocateur signé Bureau. Évidemment Aimé Jacquet apprécie moyennement cette une, qui lui restera en travers de la gorge des années durant.

Alors que la France s’impatiente de voir la bande à Deschamps gagner contre le Brésil en finale, le journal l’Équipe redoute le pire : une victoire des Bleus. En ce dimanche du 12 juillet 1998, les journalistes du quotidien sportif semblent en effet résignés à voir le ciel leur tomber sur la tête. Et ce qui devait arriver, arriva. Ce soir de juillet 1998, la France est championne du monde. Au plus grand désarroi de Jérôme Bureau et Gérard Ejnès.
Après le dernier but de Petit, un silence de cathédrale s’empare des bureaux de la rédaction. Pourtant, partout en France, il n’existe pas un seul endroit sans qu’il n’irradie de bonheur, de fierté. Partout sauf à l’Équipe. Les propos de Jacquet après le match (« Je ne pardonnerai jamais ») résonnent comme un véritable uppercut pour le journal. L’Équipe est K.O, victoire Jacquet !

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Jacquet tient donc sa revanche et vient de donner une belle leçon au seul quotidien sportif français. Alors que l’Équipe pensait tout connaître du foot et du sois-disant « beau jeu », et se permettait de critiquer ouvertement Mémé, elle a sûrement oublié une chose essentielle. La méthode Jacquet existe bel et bien. Certes, le sélectionneur n’offrait pas le plus beau football de tous les temps mais il a su souder un groupe qui restera dans nos mémoires « Pour l’éternité ».