Depuis son malheureux tacle sur Diego Carlos, le Français n’a plus foulé une seule pelouse de Ligue 1. Son dernier match en professionnel remonte au 14 janvier 2018, soit deux ans auparavant, lors de la rencontre opposant le FC Nantes et le PSG. Cette description pourrait aussi bien aller à un défenseur hargneux ayant pris un carton rouge avant de mettre un terme à sa carrière. Cependant, il s’agit de Tony Chapron, ancien arbitre de Ligue française internationale. Le 7 novembre 2018, il sort son livre « Enfin Libre ! Itinéraire d’un arbitre intraitable » aux éditions Arthaud. Un livre autobiographique mais qui évoque aussi la vision de l’arbitrage et ses solutions potentielles.
En bref, qui est-il ?
Né en 1972 dans la Normandie, le jeune Chapron joue au foot en bas de chez lui mais aussi en tant que latéral gauche au niveau départemental. Bien qu’habitant plus au nord, il supporte les Canaris nantais. Le joueur était typiquement celui qui contestait toutes les décisions de l’arbitre. C’est d’ailleurs pour cela qu’on le pousse à arbitrer un tournoi de sixte près de chez lui. Après avoir lu un livre sur les règles du football et avoir appris qu’arbitre permettait de gagner un peu d’argent chaque week-end, il se lance dans sa formation.
À presque 16 ans, il doit officiellement arbitrer pour la première fois un match départemental, mais est contraint par le mauvais temps de le reporter. S’en suit une promotion au niveau régional dès la fin de sa première saison. Tony Chapron aime rendre la justice sur le terrain et le fait plutôt bien. Il gravit les différents niveaux de l’arbitrage amateur jusqu’au monde professionnel. Il arbitre pour la première fois en Ligue 1 en août 2004 avec un gros match : le Toulouse FC face au RC Lens. Le match se déroule dans la fameuse enceinte toujours pleine à craquer (euh, non) du TFC. Selon Chapron, son match se passe bien, tout le monde rentre aux vestiaires satisfaits par ce magnifique 0-0. On a beau critiquer les supporters du TFC, ils sont plus de 25 000 ce soir là.
Quatre ans plus tard, en 2008, le français arbitre son premier match international : Lettonie – Grèce à l’occasion des éliminatoires pour la Coupe du Monde 2010. Selon transfermarkt.fr, il réalise 433 matchs en professionnel dont 216 en Ligue 1. Sur l’ensemble des ses matchs, il distribue 1515 cartons jaunes et 81 cartons rouges. En moyenne, il sort un carton jaune toutes les 26 minutes, soit entre trois et quatre cartons par match. Il tient de cela la réputation d’un arbitre sévère, d’où le surnom du « Petit Chapron rouge ». Il termine sa carrière d’arbitre professionnel mi-janvier 2018. Suspendu pour huit mois dont deux avec sursis par la cour d’appel de la FFF, il avait prévu de mettre un terme à sa carrière à la fin de cette même saison 2017-2018.

Chapron, seul contre tous
En ce qui concerne, son livre « Enfin libre ! Itinéraire d’un arbitre intraitable », l’homme en noir et le système français d’arbitrage sont totalement critiqués. Qu’il s’agisse de la manière de noter les arbitres par la Direction Technique de l’Arbitrage (DTA), instance s’occupant de la gestion de l’arbitrage français au niveau national ralliée à la FFF, ou de la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage), tous les acteurs de ce milieu passent à la casserole. À en croire Tony Chapron, rien ne va dans l’arbitrage moderne.
Sur les 300 pages de lecture, il est difficile de comprendre comment il a pu tenir aussi longtemps dans ce domaine. Le seul rayon de lumière dans ce sombre livre apparaît à ses débuts, lorsqu’il parle de l’envie de « faire justice ». Il a alors 15/16 ans. Depuis, on voit un arbitre perdu dans ce monde où ce dernier, justement, n’a pas son mot à dire. Il est chargé de suivre les ordres de cette fameuse DTA, tel un chien qui suit son maître.
Non, vraiment, rien ne va. Les joueurs, les entraîneurs, les présidents, les « supporters », les règles… Et les médias, bien sûr. Les consultants sont mauvais. Certes, certains peuvent faire douter sur leur capacité à commenter un match de foot, mais de là à affirmer cela sans montrer de contre-exemple, ce n’est pas assez argumenté. Nommer quelqu’un de correct comme consultant(e) aurait permis de comprendre que certain(e)s sont quand même à la hauteur. On espère que le nouveau consultant Canal + (Tony Chapron) a l’occasion d’en corriger certains. Mais le pire ennemi dans ce football professionnel, aux yeux de Monsieur Chapron reste la Direction Technique de l’Arbitrage.
La DTA en ligne de mire
Chapron n’est pas vraiment copain-copain avec celle-ci. Il dénonce le rôle de pression de l’instance sur les arbitres tandis qu’elle devrait les encourager, les protéger. Chapron parle à plusieurs reprises de la « docilité » des arbitres. Ils doivent répondre correctement aux exigences pointues, à des critères comme « la disponibilité de l’arbitre en période de compétition […] ; le respect et la régularité du retour des suivis d’entraînements hebdomadaires au préparateur physique de la DTA« . Dans ces propos, on englobe également la pression des performances, à l’entraînement et en match.
Chapron nous raconte rapidement qu’à chaque fin de match, un observateur de la FFF vient dans le vestiaire « arbitre » pour montrer les erreurs et donner une note. Cette note compte pour le classement général. Certains jouent la Champions League, d’autres sont relégués en Ligue 2. Cette intervention se résumerait en une énumération de défauts. En lisant le livre, on ne dispose que d’une seule vision de l’arbitrage dans son ensemble. Il est alors difficile pour le lecteur de faire la part des choses entre vérité factuelle et interprétation personnelle. Bref, T. Chapron n’aime pas du tout la façon de faire de la DTA. En plus, il est très dur avec d’autres arbitres qui suivent le mouvement. Sans donner de noms évidemment.
Dans son récit, on remarque un Chapron rebelle, qui veut voir changer les choses. Cependant, lui-même, lorsqu’il était arbitre n’a pas pu protester et mettre son grain de sel dans la soupe. Il excuse cela par l’auto-censure devant la DTA, de la pression des hauts placés lui empêchant de lever le petit doigt. On a donc Tony Chapron, contre tout le fonctionnement de l’arbitrage professionnel, qui tape sur certains de ses collègues pour leur acceptation du système, mais qui n’a rien fait lorsqu’il le pouvait. Eh oui, car aujourd’hui, ce n’est pas Chapron le consultant Canal + qui va pouvoir aller parler à la direction. Plus facile à dire qu’à faire, certes.

Crédit photo : France Football
Tony Chapron à la rescousse de l’arbitrage français
Après ce portrait noir sur l’arbitrage français, le « petit Chapron rouge » consacre une partie de son écrit sur la résolution des problèmes rencontrés. Bon, ce n’est pas une surprise, tout est à changer : les arbitres, les dirigeants, les joueurs, les règles et les médias.
Il s’appuie à la fois sur les expériences dans d’autres sports, sur ses relations avec les joueurs et les dirigeants, et sur sa formation. Certaines de ses solutions paraissent difficilement réalisables voire impossibles. Par exemple, la possibilité qu’au lieu que les arbitres additionnels soient placés derrière les lignes de but, qu’ils se positionnent à l’intérieur du jeu près des surfaces de réparation. Or, c’est aussi un facteur de discorde entre les arbitres sur l’interprétation des règles du jeu. Il faudrait approfondir cela en désignant l’arbitre qui possédera le pouvoir de décision. D’autres propositions ont des limites non écrites mais dans la plupart des cas, elles sont assez convaincantes.
Si Tony Chapron dresse un portrait sombre de l’arbitrage français, ses solutions peuvent pour la plupart changer l’image et les préjugés que l’on peut avoir sur l’homme en noir. Si l’ancien distributeur de biscottes n’a pas une image dorée, ses différentes interventions sur Canal + pour décrypter les décisions arbitrales sont très intéressantes. Le supporter peut enfin voir le jeu d’une autre manière. Cependant, l’interprétation de l’arbitrage français par un autre arbitre permettrait aux lecteurs de mieux comprendre ce système en disposant d’un autre point de vue.