« Si t’es un pays de la péninsule arabique et que tu n’as pas ton tour cycliste national, c’est que tu as raté ta politique. » La citation remaniée à la sauce cyclo-politique de Nicolas Sarkozy s’applique désormais à la perfection. En effet, le Tour d’Arabie Saoudite rejoint le Tour d’Oman, le Tour des Emirats arabes unis et le Tour du Qatar (disparu en 2016) au calendrier World Tour. Cette nouvelle épreuve organisée par ASO (Amaury Sport Organisation), s’inscrit dans une suite logique des plans saoudiens. Le pays de 33 millions d’habitants compte sur l’organisation d’événements sportifs pour s’acheter une crédibilité et une image à l’internationale.
Le 2 octobre 2018, Jamal Khashoggi, journaliste très critique envers le régime saoudien, est assassiné au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul. Cet assassinat va mettre à mal l’Arabie Saoudite qui se retrouve très isolée et très critiquée notamment par les Etats-Unis de Donald Trump. Cet entrave aux droits de l’Homme n’est pas un cas isolé pour ce pays. La détention de Loujain Al-Hathloul, militante pour les droits des femmes et la maigre liberté d’expression (aucun parti politique n’est autorisé et aucune élection nationale n’est organisée) expliquent aussi que l’Arabie Saoudite fait partie des pays les plus autoritaires dans le monde. Alors pourquoi diable les Saoudiens se décident-ils à organiser des événements sportifs ?
Des sous pour s’acheter une image
Il faut savoir que le cas saoudien n’est pas isolé dans la péninsule arabique. L’exemple le plus criant est sans aucun doute le Qatar. Ce petit pays frontalier de l’Arabie Saoudite mène depuis une dizaine d’années une véritable politique internationale axée sur le sport : rachats du PSG, organisations des Championnats du Monde de handball en 2015, de la Coupe du monde de football en 2022, sponsorings,… Du côté de Bahreïn et des Emirats Arabes Unis, les équipes Bahraïn-Merida et UAE Emirates font désormais partie du peloton mondial depuis trois ans. Des pointures de la petite reine comme Vincenzo Nibali, Rui Costa, Fernando Gaviria ou Fabio Aru portent ou ont porté leurs couleurs.

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C’est donc d’abord pour contrer la politique des rivaux régionaux que les Saoudiens se lancent dans le sport. Le roi Salmane et son gouvernement misent beaucoup sur l’organisation d’événements sportifs. En 2016, le pays a lancé le programme « Vision 2030 », estimé à 64 milliards de dollars, destiné à la mise en place et le développement d’événements sportifs. L’organisation récente de la Supercoupe d’Italie et d’Espagne, de courses hippiques et du rallye Dakar s’inscrivent pleinement dans « Vision 2030 ».
Outre concurrencer les pays voisins, cette politique a de nombreux objectifs. A une époque où la parole écologique prend de l’ampleur, il est nécessaire pour ce pays dépendant du pétrole, énergie non-renouvelable, de diversifier son économie. Premier producteur mondial de pétrole, les Saoudiens ont sûrement à cœur d’anticiper les changements de mode de consommation. Miser sur le sport permet aussi par conséquence de faire du tourisme une part importante de son économie. En effet, qui dit sport dit aussi la venue de journalistes et spectateurs du monde entier qui consommeront sur place. Et c’est bien du monde entier que tout ces personnes viennent : médias occidentaux, équipes américaines et européennes mais surtout sportifs de tous les continents ! C’est donc aussi à une échelle internationale que l’Arabie Saoudite place ses pions…
Une politique efficace ?
Cette politique, basée sur l’image et la communication, n’est utilisée que depuis peu. On peut estimer que tout cela est né au début du siècle (la première édition du Tour du Qatar a eu lieu en 2002). Mais, depuis le pari semble tenu puisque désormais la péninsule arabique joue un rôle prépondérant dans l’échiquier sportif mondial. Les instances sportives occidentales comme la FIFA ou ASO semblent être pleinement entrés dans le jeu : « Je suis très heureux de voir que le sport, qu’il soit de masse ou d’élite se développe en Arabie » a notamment déclaré Thomas Bach, président du CIO (Comité International Olympique), durant la visite d’installations.
De leur côté, les ONG comme Amnesty International ne peuvent pas faire grand chose si ce n’est appeler au boycott de ces événements au nom des Droits de l’Homme. A noter aussi que Liverpool avait refusé d’être logé dans un hôtel 5 étoiles afin de dénoncer les conditions de travail des employés. Car pendant que les plus grands sportifs s’affrontent, des milliers d’ouvriers, immigrés pour la plupart, subissent les contre-coups de cette politique. Au Qatar, des centaines d’ouvriers sont morts sur les chantiers des stades de la Coupe du Monde de football 2022 du fait des mauvaises conditions de travail. Tragique sport.

Les champions du monde Mark Cavendish et Rui Costa ainsi que Nacer Bouhanni ou encore Niki Terpstra seront au départ du Tour d’Arabie Saoudite (du 4 au 8 février). Par la suite, le Tour des Emirats arabes unis et le Tour d’Oman rythmeront le calendrier cycliste.