Depuis 1992, Vincent Lavenu est le directeur sportif d’une équipe cycliste, qu’il a lui-même créée. Personne emblématique du cyclisme français, le directeur sportif de AG2R La Mondiale a évoqué les nombreux changements qui vont rythmer la saison 2020 de sa formation. Le natif de Briançon a évoqué la préparation du premier Giro de Romain Bardet, le leadership de Pierre Latour sur le Tour de France ou encore les ambitions d’Oliver Naesen.
Votre équipe vient de finir un stage à Gandia. Qu’avez-vous fait durant ce stage ?
C’est un stage très traditionnel. On fait toujours ce genre de stage en Espagne, en décembre. D’ailleurs, quasiment toutes les équipes sont en stage là bas car les conditions climatiques y sont très bonnes. C’est le premier gros stage de l’année, basé sur un travail foncier important. On y fait aussi beaucoup d’exercices spécifiques : travail en force, vélocité, cohésion en contre-la-montre,.. L’ensemble de nos coureurs étaient répartis en 4 groupes différents en fonction de leurs aptitudes. D’autres activités y sont réalisées : les photos officielles, des réunions, du travail sur le matériel… C’est un stage très dense et un passage obligé pour préparer une saison mais nous y sommes très habitués, cela fait plus de 15 ans que nous le faisons.
Après une saison 2019 compliquée, marquée par les blessures, Pierre Latour sera le leader de l’équipe sur la Grande Boucle. Comment allez-vous gérer ce nouveau rôle pour lui ?
C’est une grosse responsabilité pour lui, c’est un challenge pour l’équipe. Romain Bardet avait envie de voir autre chose. En collaboration avec l’ensemble du staff’, nous avions décidé de ne pas contraindre Romain Bardet d’aller sur le Tour de France. Pierre Latour a un potentiel important, il a déjà remporté le maillot blanc et avait fini 13eme du général. Il a encore besoin d’être guidé pour endosser ce rôle de leader. Il y aura un travail autour de lui à tous les niveaux : sur l’approche mentale, technique, morale ou sur la communication par exemple.
C’est un challenge excitant. Il y a des tournants dans des carrières qu’il ne faut pas avoir peur d’appréhender et qu’il faut prendre avec enthousiasme, en se disant qu’il y a quelques chose de beau à réaliser !

Crédit photo : James Startt/Presse Sports
De son côté, Romain Bardet sera sur le Giro. Il s’agit de sa première saison sans participer au Tour de France. Comment avez-vous pris cette décision et comment va-t-il préparer ce nouveau rendez-vous ?
Tout est parti du postulat de l’an dernier. Romain Bardet a vécu un Tour de France compliqué, où, au fil des jours, il n’a jamais trouvé sa forme. Il a terminé car il a été solide, notamment grâce au maillot à pois. On a senti qu’il était usé et fatigué, notamment par la pression et les attentes autour de lui. Avec l’ensemble du staff, nous avons estimé qu’il fallait qu’il se repose. Depuis 2013, il n’avait jamais coupé. De plus, c’est un garçon qui travaille énormément sur le plan physique, il était donc plus que nécessaire pour lui de se faire ce break important en fin de saison, afin de repartir sur de bonnes bases. Il est compréhensible que certains se plaignent de l’absence de Romain sur la Grande Boucle mais je pense que ça fait partie du parcours de l’athlète et c’est notre rôle de l’accompagner.
C’est aussi dans cette optique qu’il s’est aligné sur quelques cyclo-cross ?
Ayant coupé très tôt, il était nécessaire de refaire des efforts intenses. Le cyclo-cross permet de faire monter le cœur de manière importante. Il a aussi fait du travail sur piste, ce qu’il n’avait jamais fait jusqu’à présent. C’est une technique importante à acquérir. Tout cela est un complément à ses qualités actuelles qui doit lui permettre de retrouver un bon niveau.

Crédit photo : Raphaël Rochette
Le Giro comporte trois chronos pour un total d’un peu moins de soixante kilomètres. De quelle manière allez-vous aborder cet exercice difficile pour Romain Bardet ?
Contrairement à ce que tout le monde croit, Romain travaille toujours le contre-la-montre. On sait très bien que ce n’est pas son point fort, on l’a vu à Pau. Il n’est pas un pur rouleur et doit tout faire pour perdre le moins de temps possible. Sur des chronos difficiles, il arrive à faire jeu égal avec les meilleurs. On l’a vu sur le Tour 2016 durant lequel il termine 5ème du chrono de Megève.
Sur le Giro, c’est totalement différent du Tour : les cols et la concurrence sont différents. En 2019, Richard Carapaz gagne le Giro alors que son équipe n’était pas très forte alors que l’on attendait Primoz Roglic. Le Giro et le Tour ne se préparent pas de la même manière : il y a moins de pression et il y aura sûrement quelque chose à faire sur les cols difficiles.
Clément Champoussin va effectuer sa première saison professionnelle dans vos rangs, après avoir brillé dans les catégories Espoirs. Pouvez-vous en dire plus sur lui ?
Clément Champoussin est issu de notre centre de formation comme nombreux de nos coureurs. Ce centre existe depuis 20 ans et alimente l’équipe World Tour. Je pense à Romain Bardet, Pierre Latour, Nans Peters, Benoît Cosnefroy…. Champoussin est un pur grimpeur. Il a terminé 4ème du Tour de l’Avenir, 11ème des Championnats du Monde. Il n’a pas une grosse expérience sur la route car il vient du VTT. Il a d’ailleurs été Champion de France Juniors, il y a 3 ans.
En revanche, il a une belle capacité d’adaptation, on l’a vu en fin de saison dernière. Il termine 9ème du Gran Piemonte (Tour du Piémont, Italie) derrière des cadors comme Egan Bernal, Emanuel Buchmann ou Dan Martin. Il a un bel avenir mais il a beaucoup à apprendre, c’est pour cela qu’il ne doit pas se perdre et rester studieux et concentré.

Crédit photo : Freddy Guérin/Direct Vélo
Les Classiques sont un rendez-vous important. Tony Gallopin, qui sort d’une saison compliquée, a annoncé sa volonté d’y participer. Comment allez-vous construire votre groupe ?
Au fil du temps, nous avons constitué un groupe pour les classiques assez intéressant. Il y a Silvan Dillier, Oliver Naesen, Julien Duval ou encore Stijn Vandenbergh. Notre leader est Oliver Naesen. Il a montré de belles choses, il doit être capable de gagner un « Monument » comme le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, il en a les capacités. Tony a envie de retrouver les Flandriennes et se positionne comme un capitaine de route avec beaucoup d’expériences. Il peut autant jouer sa carte personnelle que rendre de fiers services à son leader.

Crédit photo : AG2RLM
Comment votre métier de directeur sportif a évolué depuis le début des années 1990 ?
Une chose reste identique, c’est la passion qui nous unit tous, que ce soit le manager général, le staff’, le directeur sportif. Le cyclisme est un sport merveilleux, qui crée beaucoup d’enthousiasme et d’émotions auprès des spectateurs. Ça reste extraordinaire. Depuis 1992 et la création de mon équipe, les choses ont beaucoup évolué ! Nous étions une petite équipe familiale à l’époque. Aujourd’hui, en World Tour, nous sommes tous des armadas. Désormais, nous faisons appel à des compétences diverses autour de l’équipe, afin de rester au plus haut niveau mondial. Il faut répondre aux exigences du sport professionnel : entraînement pointu, études en soufflerie, études posturales et matérielles, de l’ingénierie,… C’est valable pour tous les sports et le cyclisme n’est pas en reste ! C’est un sport très technique. Et la concurrence étant tellement forte qu’on peut très vite se faire dépasser par les autres équipes.